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la tendresse d’amour au point du jour que je ne pouvais pas m’en guérir le cœur en ta faveur. Je vas t’en chanter une petite, veux-tu ? Qu’est-ce que ça te fait, puisque tu manges ? On reparlera d’elle après, sois tranquille.

Elle se leva impétueusement et prit dans le filet qui servait de grenier la vieille guitare placée entre les pommes de terre et le parapluie. Pendant qu’elle en resserrait les cordes lâchées, Maurice dit sur le ton de la clémence :

— Chantez, maman, vous avez une fièrement jolie voix.

Ce fut comme un tonnerre langoureux qui éclata dans la petite cabine. Les yeux au ciel et le sein agité par un orage, Léocadie se mit à rugir, sur l’air fade d’une romance passée de mode, la poésie suivante, qui était due à sa propre inspiration :

Les lions et les tigres sont plus faciles à dompter
Que le jeune militaire dont mon âme en soupire ;
Il est séduisant par toutes ses qualités,
Mais ça lui est égal que je souffre le martyre.

— Bravo ! s’écria Maurice, c’est stylé !

— Tu ris, sans cœur ! répondit Léocadie ; n’empêche qu’il y a des gens qui s’y connaissent et qui m’ont dit qu’on aurait bien pu la faire imprimer chez les marchands de musique.

Elle reprit avec moins de vigueur, mais plus de sensibilité :