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cerf-volant ; les épaules avaient un châle-tapis en lambeaux qu’égayait une prodigieuse écharpe de mousseline, dont l’usure avait fait une dentelle. Là-dessous, il n’y avait point de jupe. Le bas du corps était vêtu d’un pantalon en guenilles. Le tout marchait dans des souliers à semelles de bois, ouatés avec de la paille.

On a beau dire que Paris est inconstant, oublieux, ingrat. Les faits sont là. Paris est, au contraire, la terre classique des obstinées traditions.

Paris a des jours où il doit s’amuser, sous peine de perdre le repos de sa conscience, comme le chrétien jeûne aux Quatre-Temps, comme le marronnier des Tuileries bourgeonne au 20 mars. C’est un rigoureux devoir.

Ces jours-là, vous rencontrez à chaque pas dans Paris non seulement le plaisir de tout le monde qui passe, brillant ou piteux, spirituel ou imbécile, mais une foule de plaisirs étranges, véritables curiosités de nos mœurs sans fond, qui, se montrant tout à coup, au milieu des gaietés populaires, font l’effet de ces bêtes apocalyptiques que jettent parfois sur nos grèves les cavernes inexplorées de l’Océan.

En ces jours de fête obligatoire, on se heurte à des joies si mélancoliques et si burlesques que l’esprit reste confondu. Ces choses-là, soyez sûrs, n’ont point lieu au village ; c’est à Paris, uniquement à Paris, que vous trouvez l’orgie solitaire, le carnaval d’un seul, le monologue de la mascarade : cet homme, enfin, ce citoyen, ce pauvre diable qui s’invite à boire dans un trou, qui bavarde avec lui-même, qui trinque la main droite contre la main gauche et qui se déguise pour se faire rire.

Ce masque qui passait de l’autre côté du boulevard était un chiffonnier, qui avait accompli ses dévotions bachiques à la barrière d’Enfer, et qui revenait chez lui, en travaillant, un peu malade, mais bien content d’avoir bu deux litres de cette médecine violette dont les sauvages de l’Ohio ne voudraient pas.

Il avait le bonnet à fleurs et le châle boiteux de sa défunte maîtresse. Il la pleurait en riant son rire d’ivrogne. C’était un