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conspirations où Marguerite, telle que Dieu l’a faite, et même d’autres Marguerites, moins belles, moins braves, moins avisées, ont pu entrer, prospérer, fructifier à la barbe des contemporains et de la postérité. Des goûts, des couleurs et des conspirations, il ne faut jamais rien dire.

Seulement, cette splendide Marguerite ne conspirait pas, au moins dans le sens vulgaire du mot. Elle ne travaillait ni pour un roi déchu ni pour une république exilée. Elle était femme d’affaires et ne voyait dans l’univers entier qu’un idéal : Marguerite.

Marguerite Sadoulas, millionnaire ou duchesse, les deux à la fois, s’il se pouvait ; Marguerite, reine dans un palais ; Marguerite, châtelaine d’un Chenonceaux ou d’un Chambord, Marguerite entourée d’adorateurs, Marguerite, assourdie par les bravos sur ce grand théâtre du monde, — elle qui était sortie un soir, les yeux rouges et le cœur meurtri, du petit théâtre gascon où les sots l’avaient sifflée.

Elle avait, pour atteindre ce but radieux, deux moyens, pas davantage : le prince russe et « le premier mari. » Troubler l’État n’était point sa vocation. Elle eût, néanmoins, et sans hésiter, refait 93, si 93 lui eût promis son château et son palais.

L’idée de la conspiration lui plut. Elle s’était trop avancée vis-à-vis de cette âme saine et loyale, qui pouvait bien glisser sur la pente folle des juvéniles entraînements, mais que certains mots devaient arrêter soudain, comme un choc éveille les rêves. Elle le sentait. On lui ouvrait une voie pour faire retraite. Elle y tourna sans hésiter.

— Ceci est au-dessus de votre jeunesse et de votre inexpérience, Roland, dit-elle en baissant les yeux et la voix. Dieu m’est témoin que je n’ai pas voulu vous engager dans cette route au bout de laquelle est l’inconnu… la puissance ou l’échafaud !

— Je ne suis pas ambitieux, répondit Roland, beau de candeur chevaleresque. Je n’ai pas peur de mourir. Si j’allais, ce serait pour vous suivre, si haut que vous montiez, si bas que l’injuste fortune puisse vous précipiter.