Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taines impossibilités. Nous sommes de race noble, ma sœur, mais j’ai pris cette profession de notaire qui appliquerait profondément la tare bourgeoise au nom le plus illustre. Je ne sais pourquoi, mais je le sens : il serait moins invraisemblable pour une princesse d’Eppstein, fille d’un duc et pair de France, d’épouser un comédien, un aventurier, que sais-je ? cherche ce qu’il y a de plus déclassé dans notre ordre social, que d’épouser un notaire. Les préjugés se meurent ou sont morts, les gens et les livres vont criant cela. Et pourtant, ce que je te dis, c’est la vérité vraie. Moi qui parle, ce rêve m’apparaît comme une monstruosité, à ce point que le rêve perdrait pour moi de son invraisemblance, si, de notaire honnête, je devenais tout à coup quelque chose d’osé, de bizarre, de hardi, quelque chose d’en dehors, comme certains disent quand le mot leur manque pour exprimer une pensée qui effraye ; moi, j’ai le mot et je le dis : quelque chose de criminel !

Rose resta froide.

Léon de Malevoy s’arrêta et reprit avec amertume :

— Au moins, si cela sort de la vie commune, cela rentre dans le roman qui émeut et qui étonne. Le roman, de nos jours, est une chose méprisée, mais c’est une chose souveraine.

Rose était de marbre.

Comme son frère s’arrêtait encore, elle dit avec un calme étrange :

— Je te comprends parfaitement.

Puis elle ajouta tout bas :

— Mon frère, as-tu songé parfois à franchir ce pas dont tu parles ?

— Peut-être, répliqua Léon d’une voix altérée. Mais tu es bien tranquille, ma sœur, en écoutant le récit d’une torture qui m’a vieilli de vingt ans au moins en douze mois !

Rose attira la main de son frère sur sa