Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mais reprit Marguerite, il n’est pas si beau de moitié que Roland.

— C’est possible, répéta Joulou, qui alluma son cigare à une bougie. As-tu faim ? viens dîner à la cuisine : on est mieux.

— Je n’ai pas été au rendez-vous de Léon Malevoy.

— Tiens, c’est, ma foi, vrai !

— Tu ne t’en étais pas aperçu ?

— Non… rapport au poulet, à qui je pensais.

— Brute ! brute ! fit la belle créature sans colère et en riant. Embrasse-moi.

Joulou se fit prier.

— Je ne recevrai pas Roland, répondit Marguerite en lui jetant ses deux bras autour du cou. Vois comme on t’aime !

— Au lieu de cette bière, dit Joulou, si j’allais prendre deux bouteilles de Beaune à crédit ?

— Tu n’es donc pas jaloux, toi, Chrétien ! s’écria Marguerite avec un soudain courroux.

— Non, répondit le gros Buridan, sans s’émouvoir le moins du monde.

Elle mordit son mouchoir et ses longs yeux eurent une lueur féline.

Joulou poursuivit tranquillement :

— Jaloux de qui ? Des princes russes ? des lords anglais ? de M. Léon Malevoy ? du grand nigaud de Roland ? Qu’est-ce que tout cela me fait, à moi ?

Le poing serré de Marguerite lui arriva en plein visage et fit jaillir le sang.

— Brute ! brute ! brute ! grinça-t-elle par trois fois en se préparant à redoubler.

Joulou déposa son cigare avec soin sur la tablette de la cheminée, après quoi, dédaignant toute vaine chevalerie, il se mit en défense résolûment, selon l’art du boxeur français. Évidemment, ce genre de gymnastique, entre la belle Marguerite et lui, n’était ni une nouveauté, ni même une rareté. Emportée par une colère folle, la misérable et splendide créature, attaquait comme une lionne et cherchait à s’emparer de la dague ; Joulou parait, moitié riant, moitié grondant.

— Jeux de main, jeux de vilain, grommelait-il. Gare à toi, ma fille, je vas te régaler !

Par une manœuvre décisive, ses dix robustes doigts se prirent aux magnifiques cheveux de Marguerite, comme un grappin d’abordage accroche les agrès d’une fré-