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— As-tu faim ? demanda-t-il.

— Comme une louve, répondit-elle, pendant que ses prunelles élargies brillaient ; faim des choses qui coûtent des poignées de louis, soif des vins qui n’ont pas de prix et qu’on boirait dans de l’or, tout pétri de diamants !

— Elle est bête ! dit Joulou. As-tu faim ? faim de manger ?

Il ajouta :

— Nous avons un poulet et de la bière.

Marguerite dessina un geste de suprême dédain.

Joulou reprit :

— Si je savais où ça pose les lords anglais et les princes russes, j’irais t’en chercher tout de même, ma fille.

— C’est pour les laides et pour les vieilles ! répliqua Marguerite. Il n’y a plus de ces bonnes sorcières qui vous faisaient épouser des ducs pour dix louis.

Joulou eut son rire sourd qui montrait une rangée de dents formidables sous sa moustache rare et roussâtre. Il dit :

— Elle est bête.

Et il entra tout-à-fait. Cette belle Marguerite le regardait venir avec une caressante complaisance. La lourdeur de sa face n’excluait pas une sorte de beauté, et il avait un corps musclé magnifiquement. Marguerite, du reste, expliqua la caresse de son regard en disant :

— Chrétien, j’ai idée que tu feras ma fortune, une fois ou l’autre. Les innocents ont les mains pleines.

— Ça ne m’irait pas d’assassiner quelqu’un, commença-t-il paisiblement. Du tout, mais du tout !

— Brute ! l’interrompit Marguerite qui frissonna. Qui te parle de cela ?

— À moins, poursuivit Joulou, qu’on soit en colère… ou qu’on ait bu du vin chaud… ou qu’il m’ait fait du tort !

Il était tout auprès de Marguerite qui le repoussa d’un geste viril.

Joulou chancela, rit et dit :

— Ah ! tu es forte !… Mais je suis plus fort que toi.

Elle l’enveloppa d’une œillade étrange.

M. Léon Malevoy est un beau jeune homme, murmura-t-elle.

— C’est possible, fit Joulou en mordant le bout d’un cigare à un sou. Je ne m’y connais pas et je me moque de lui. Tu ne l’aimes pas.