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chassé de l’atelier pour avoir fait cuire le mouton à six pattes.

Comme excuse Pompier alléguait pourtant qu’il n’avait mangé ni la cinquième, ni la sixième qui étaient de bois.

Ainsi mêlant le plaisant au sévère les associations trouvent au sein de leur propre histoire le drame, la comédie, l’épopée parfois, toujours l’intérêt puissant qui, grandi à la taille d’un empire, devient le sentiment national. Bien des gens confondent ce levier avec l’égoïsme ; moi, un dîner de barbistes m’émeut jusqu’aux larmes. Il est bien doux surtout d’assister aux discours de la fin.

Au milieu de ces vieux enfants, incapables de se gouverner eux-mêmes et dont il avait été longtemps le salut, notre Roland ne jouait pas un rôle aussi ridicule que le pourraient penser quelques esprits dédaigneux. Entre lui et ses pauvres vassaux la ligne de démarcation était parfaitement tranchée, sans qu’il y eût de sa part aucune ombre de fierté. Il les aimait, ils l’adoraient, mais la nature avait mis entre eux une distance que nul ne songeait à franchir, excepté lui, Roland, qui était bon prince.

Ceci est excellent de rois à sujets, — et rare.

D’ordinaire, Roland apportait parmi son petit peuple une gaieté communicative et franche. Il n’était jamais le dernier à rire d’une bonne charge, et Cascadin osait tout devant lui. Ce jour-là, au milieu de la joie générale, il garda une figure sereine, mais un peu rêveuse. Plus d’un observateur pensa et dit, entre le potage et le dessert : « M. Cœur est amoureux. »

Quand on servit le gâteau monumental, portant, écrits en lettres candies sur la croûte dorée, ces mots sacramentels : « l’atelier Cœur-d’Acier à son maître », M. Cœur se leva et parla comme d’habitude brièvement et joyeusement, mais je ne sais pourquoi l’impression produite par ses paroles tourna en mélancolie.

On avait vu Rudaupoil essuyer furtivement une larme. Militaire pleurait abondamment ; il est vrai qu’il avait le vin humide tous les ans.

M. Baruque, au contraire, buvait raide et sec. Il devenait coupant à la troisième bouteille. Une larme à cette dure paupiè-