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L’émotion l’emporta. Elle lui jeta les deux bras autour du cou, et baisa ses cheveux en disant :

— Es-tu assez beau, mon pauvre grand nigaud ! es-tu assez bon ! Et dire que vous perdrez tous le meilleur de votre âme avec ces malheureuses !

— Encore ! fit Roland qui frappa du pied.

— Ah ! tais-toi, bambin, sais-tu, fit la voisine en se redressant. Pour un peu, je le dirais à ta mère !

Roland pâlit.

— Sortir la nuit, murmura-t-il, quand elle est si malade !

La voisine haussa les épaules, mais elle avait les yeux mouillés.

— Tu es un pauvre cher enfant ! dit-elle du fond de cette philosophie naïve et terrible qu’elles ramassent on ne sait où. Autant celle-là qu’une autre. On te promet que ta mère sera bien gardée. Et si elle te demande : « Il dort ! »

Elle lui tendit les chausses collantes, en tricot violet.

— Prends encore cette nuit de bon temps, continua-t-elle. Tu vas te disputer, puis pardonner, c’est le plaisir.

— Pardonner ! gronda Roland, jamais ! si c’était une grisette, je ne dis pas, mais une personne bien née !

La voisine se retourna pour lui laisser le loisir de passer les chausses et aussi pour cacher un éclat de rire que, cette fois, elle ne put réprimer.

— Oh ! certes, dit-elle d’un ton patelin, ce n’est pas une grisette, celle-là… Et sans la révolution…

— Son père était colonel, prononça Roland avec dignité.

— Alors c’est la Restauration… Que veux-tu, on ne voit que malheurs !… Peut-on se retourner ?

— Et sa mère, poursuivit Roland, était la cousine d’un girondin.

— Quel âge a-t-elle donc, si ça date de la Terreur ? demanda bonnement la voisine.

Roland répondit :

— Attachez-moi mes chausses dans le dos et pas de mauvaises plaisanteries !

Pendant que la voisine obéissait, il reprit :

— Elle a l’âge qu’elle a. Ça ne vous regarde pas. Il n’y a rien de si beau qu’elle, rien de si noble, rien de si brillant… Te-