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Ce qu’elle voulait, certes, elle n’aurait point pu le dire. Le bonheur mettait une adorable couronne à ses traits si suaves et si nobles. Elle était heureuse, voilà le vrai. Elle espérait encore plus de bonheur.

Sa tête effarouchée et souriante dépassa le montant de la porte. Elle parcourut tout l’atelier d’un seul regard et redescendit les deux marches en chancelant. Elle avait vu Roland endormi.

— Oh ! fit-elle, prête à défaillir, moi, je ne l’avais jamais revu… qu’une fois ! Rien qu’une fois !

L’idée de fuir la saisit, si pressante et si forte, qu’elle s’élança dans l’allée ; mais, en tournant l’angle du massif, elle voulut jeter en arrière un dernier regard. De là, on ne pouvait point voir Roland. Le tableau seul apparaissait, creusant de plus en plus ses saillies, à mesure que le soleil avançait dans sa course, l’éclairait mieux et plus favorablement.

Rose s’arrêta encore, hélas ! et ce fut pour envoyer à celui qu’elle n’apercevait plus un baiser plein de tendresse et de pudeur.

Il n’y avait nul témoin. Pourquoi craindre ? Il dormait.

Et s’il s’éveillait, quel danger ? Rose n’avait-elle pas ici protection et droit ? Ceux qui l’avaient amenée étaient à portée de l’entendre.

Il ne faut pas des arguments bien vigoureux pour convaincre un cœur qui désire. Rose revint sur ses pas, plus hardie, cette fois, quoique plus émue. L’ivresse donne soif ; elle voulait boire encore à cette coupe qui l’enivrait de joie.

Comme ce souvenir vivait en elle énergique et cher ! Et pourquoi ce souvenir avait-il laissé une empreinte si profonde ? Toute mémoire obstinée suppose un fait, un drame, un choc. Ici il n’y avait rien eu.

Rien ! une rencontre fortuite, une parole échangée…

Et Rose ne devait jamais oublier cette heure triste et bien aimée, ce lieu mélancolique, dont le tableau parlait tout bas,