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point Roland lui-même, mais une immense fortune que le hasard jetait en proie à l’intrigue. Et, sans le savoir, Roland s’était couché en travers du chemin qui menait à cette fortune.

Il n’avait point changé : tel nous l’avons vu il y a dix ans, tel il restait sous ce rayon qui éclairait son front mâle et doux, baigné dans la profusion de ses cheveux noirs ; vous l’eussiez reconnu d’un coup d’œil, songeant malgré vous à cette féerie qui garda pendant un siècle les seize ans de la Belle-au-bois-dormant. Tout avait changé, cependant, autour de lui, le temps ni la mort ne s’arrêtent jamais. Il y a dix ans, celle qui passait aujourd’hui, radieuse jeune fille, dans son rêve, n’était encore qu’une enfant.

Il souriait. Ses lèvres s’entr’ouvraient. Il songeait qu’il parlait d’amour.

Un amour aussi jeune, aussi neuf, aussi ardent que cette belle passion prodiguée par lui et perdue jadis aux pieds d’une femme indigne !

L’amour vaut par le cœur qui l’exhale, indépendamment de son objet. Que nous importe cette Marguerite si profondément tombée ? Il s’agit de Roland, noble, loyal, vaillant comme la vingtième année d’un chevalier. C’était un bel amour, parce que Roland était une belle âme.

Et cet amour, maintenant, au lieu de descendre, s’élevait, planant vers le bleu d’un ciel pur où brillait son étoile.

Le même amour, oh ! certes, l’amour de Roland, ou plutôt Roland tout entier, cet être franc, généreux et brave qui, par fortune, s’était un jour baptisé ou affublé de ce nom : M. Cœur, nom burlesque ou charmant selon le point de vue.

Mais charmant surtout, et nullement burlesque, dès qu’il s’appliquait à cette sève cordiale, à cette jeunesse vigoureuse et gracieuse, à ce noble corps, enveloppe d’une conscience noble.

Il dormait depuis un quart-d’heure à peine, et Dieu sait le chemin que son rêve avait fait déjà dans le pays des enchantements, où la folie de nos souhaits se change en réalités enivrantes, lorsqu’un pas