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Mme Marcelin. Le fils du bonnetier dit : ma mère.

Roland sortit. Il poussa une porte sur le carré et entra dans la chambre de la voisine. C’est ici un lieu mystérieux, un sanctuaire, un laboratoire qui mériterait une description à la Balzac. Tant de jeunesse rancie ! tant de sourires pétrifiés ! tant de fleurs fanées ! mais nous n’avons pas le temps, et la voisine est si bonne personne !

Roland s’assit sur le pied du lit, auprès du costume de Buridan et mit sa tête entre ses mains.

La voisine s’était trompée trois fois ; ce n’était ni un père noble, ni un militaire, ni un étudiant : c’était un clerc de notaire. Mais comme la voisine avait bien deviné du premier coup pourquoi notre Roland avait, ce soir, des pensées mélancoliques !

La voisine vint pour voir où il en était de sa toilette. Elle le trouva qui pleurait comme un enfant.

— Ta mère dort bien, dit-elle, pendant que Roland faisait de son mieux pour cacher ses larmes. Il y a longtemps que je ne l’avais vue dormir de si bon cœur. Elle rêve ; elle parle de vingt mille francs. Est-ce qu’elle a mis à la loterie ?

— Pauvre maman ! murmura Roland. Elle m’avait bien dit de prendre garde ! je tuerai ce coquin de Buridan !

Mme Marcelin aurait préféré parler des vingt mille francs qui l’intriguaient jusqu’au vif.

— Parfois, reprit-elle, on peut tomber sur un quaterne… quel Buridan veux-tu tuer ?

Roland sauta sur ses pieds.

— Il faut que je lui parle ! s’écria-t-il et que je la traite une bonne fois comme elle le mérite !

— C’est ça, répliqua la voisine en dépliant le costume ; ça doit joliment t’aller ces nippes-là. Tout te va. Si tu avais le fil et l’occasion, tu deviendrais rentier rien qu’à dire : « mon cœur » aux duchesses, en tout bien tout honneur… Mais, au lieu de ça, tu pleures comme un grand benêt, parce qu’une farceuse de cantine…

— Madame Marcelin ! s’écria Roland avec un geste magnifique, je vous défends d’insulter celle que j’aime !

Elle le regarda, partagée par l’envie de rire et l’émotion.