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ma désormais deux sentiments bien accusés : le désappointement et la frayeur.

Le désappointement naissait de ce fait que la draperie en glissant sur sa tringle avait découvert une figure inconnue, au lieu de celle que le vicomte Annibal s’attendait à voir.

La frayeur venait tout uniment de la pression vigoureuse qui lui écrasait le poignet, combinée avec la sauvage colère décomposant les traits du jeune peintre.

Le vicomte Annibal Gioja, des marquis Pallante, avait rôdé bien longtemps autour du pavillon de M. Cœur avant de s’y pouvoir introduire ; mais, maintenant, il regrettait sa réussite. Il eût doublé le double louis donné à ce bon Jean pour être dans la rue des Mathurins-Saint-Jacques, où sa voiture l’attendait.

— Nous autres Napolitains, balbutia-t-il pourtant, blême et entrechoquant ses belles dents, seize contre seize, nous n’avons peur de rien… Et d’ailleurs, je suis ici dans votre intérêt, mon cher monsieur Cœur. Lâchez-moi, je vous prie. Vous avez un très robuste poignet !

Roland ne le lâcha pas avant d’avoir donné un coup-d’œil au tableau que le rideau, à demi-tiré, coupait juste à son milieu.

Un sourire traversa sa colère quand il vit l’état où les choses restaient.

— Allez au diable, gronda-t-il, et ne revenez pas !

Ses doigts se desserrèrent. Le vicomte recula aussitôt de plusieurs pas, balbutiant :

— Cher et illustre… corbac ! ce garçon est fort comme un bœuf !

Au-delà du seuil, et seulement au-delà, il dit :

— Celle qui m’envoie aurait pu changer une moitié de saltimbanque en grand seigneur ! Mon bon, vous venez de manquer votre fortune, et vous entendrez parler de moi !

Roland lui avait déjà tourné le dos.

Trois minutes après il ne songeait plus à M. le vicomte.

Il avait laissé la porte ouverte et le tableau découvert à demi.