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mail rose qu’il avait dans la bouche.

— Fondons la glace, cher et illustre, répliqua-t-il. Je vais vous avouer une chose : je suis ardemment épris de votre manière. Pour nous autres Napolitains, les jouissances d’art arrivent à l’extase, vous savez ? Respirer l’air de votre sanctuaire, voir vos ébauches, c’est déjà du bonheur. J’aurais traversé l’épreuve du feu pour cela, mais…

Il se leva et présenta sa main d’une certaine manière à Roland qui ne bougea pas.

— Bon ! fit le vicomte Annibal. Vous n’êtes pas initié, mais vous le serez… Êtes-vous amoureux !

Son sourire étincelait d’aimable impudence. Roland fronça légèrement le sourcil. Annibal tourna sur son talon et vint prendre une pose de statue devant une petite toile, presque achevée, qui attendait le vernis. C’était joli comme tout ce que Roland faisait. Annibal l’examina selon l’art des profès et enfila deux ou trois douzaines de ces banalités techniques qui sont désormais à la portée de tout le monde, comme l’argot dévoilé. Ce pauvre pédantisme infecte les ateliers encore plus que la térébenthine. Les feuilletons d’art l’y vont chercher.

— Nous autres Napolitains, prononça le vicomte Annibal du bout des lèvres en quittant le tableau pour passer à un autre, nous aimons sincèrement à rendre un bon office. Nous sommes de vivants traits d’union en amour, en politique, en tout… Voici un coucher de soleil délectable, tenez ! Où diable Claude Lorrain avait-il caché sa palette, que vous l’avez retrouvée ?… Dites-moi : à laquelle de ces deux dames en voulez-vous, cher et illustre ? J’ai mes raisons pour vous demander cela.

Il ne se retourna point. Roland tressaillit et ses yeux semblèrent se dessiller, tandis qu’il examinait le profil perdu de son hôte avec ce regard ébahi qu’on a pour douter des invraisemblances.

— Est-ce à Madame la comtesse ? poursuivait paisiblement le reluisant vicomte. Est-ce à cette délicieuse princesse ?… Quelle adorable petite scène de genre ! dans dix ans, cela vaudra mille louis !…