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miroiter sur toute la personne de ce cavalier éblouissant.

M. le vicomte Annibal Gioja, des marquis Pallante, ayant salué une troisième fois, s’assit en murmurant :

— Vous permettez ?

Il mit la pomme de sa canne, un pur onyx, à ses lèvres et son lorgnon dans son œil. Ainsi campé, il fit la revue de l’atelier d’une œillade admirative.

— Monsieur, lui dit Roland, trop surpris pour avoir déjà de la colère, j’ai coutume de ne recevoir personne chez moi.

— Je le sais pardieu bien ! répliqua le vicomte Annibal d’une voix en même temps douce et cristalline, comme est le sucre candi, j’ai eu assez de peine à forcer la consigne : mais, nous autres Napolitains, rien ne nous étonne ; nous avons le feu sacré dans l’âme comme dans les yeux, mon cher, mon illustre ami…

— Ami ! répéta Roland, qui ne put s’empêcher de sourire.

Le feu sacré qui était dans les yeux du vicomte Annibal s’attisa. Il prit une de ces poses nobles qui courent les rues dans son heureux pays, et poursuivit avec inspiration :

— Connaissez-vous l’Italie ? son ciel, ses femmes, ses brises à la fleur d’oranger ? ses horizons plus rosés que des gouaches ? l’azur dentelé de ses golfes ! Nous autres, Napolitains, nous avons beau faire, notre cœur est un aimable fou qui se jette à la tête de la beauté ou du génie. Le climat veut cela, le climat de l’Italie, l’amour du monde, le monde de l’amour ! Rossini ! Pétrarque ! Pasta ! Les ténors ! Le soleil ! Ami, je le répète, illustre et cher ami ! cessez de peindre des chefs-d’œuvre, si vous ne voulez pas qu’on vous aime !

Ayant parlé ainsi d’un ton sonore, le vicomte Annibal déganta deux mains en marbre de Paros pour rouler une cigarette.

— Monsieur le vicomte, lui dit Roland froidement, je désirerais savoir si je puis faire quelque chose pour vous.

Annibal alluma sa cigarette en répétant : « Vous permettez ! » et montra en un sourire blanc le trésor d’ivoire nacré et d’é-