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être pas soigné selon toutes les règles, comme au couvent de Bon-Secours, mais chacun fit de son mieux, y compris le vétérinaire, ami de la maison, et la riche nature du blessé triompha.

C’étaient de bonnes gens, car ils interrogèrent Roland qui ne voulut point leur répondre, et, nonobstant cela, ils le gardèrent.

Roland restait frappé de cette idée fixe qui l’avait tenu pendant toute sa maladie et qui survécut même à sa complète guérison : l’honneur d’être appelé en justice et de se voir publiquement le héros d’un drame de cour d’assises. Les événements du boulevard Montparnasse lui apparurent longtemps comme un mauvais rêve, et, par le fait, il n’en eut jamais la représentation nette dans son souvenir.

Au contraire, les choses qui s’étaient passées dans le parloir de Bon-Secours lui revenaient souvent comme les reflets d’une vision lointaine mais lucide. Il voyait parfaitement la Davot ; il voyait aussi cette religieuse, qui semblait avoir dépassé les limites de l’âge, ce vieillard à l’aspect haut et fier, cette petite fille déjà si belle… Ces trois dernières personnes lui apparaissaient liées entre elles, étroitement et liées encore par je ne sais quel fil invisible à des souvenirs plus anciens qui planaient comme des nuages au-dessus de sa petite enfance…

Gondrequin-Militaire avait dit l’exacte vérité. Il n’était pas au pouvoir de Roland de se rendre matériellement utile dans l’atelier Cœur-d’Acier. Tout imbu encore des leçons du plus grand maître de ce siècle, leçons prises à l’époque la plus hardie, la plus radieuse de sa carrière, Roland ne pouvait que gâter les toiles destinées à MM. les artistes en foire. Il essaya consciencieusement, car il voulait gagner sa vie, mais il ne réussit point. De guerre lasse, il choisit un coin du vaste hangar, prit une toile de deux pieds carrés, de vrais pinceaux, de vraies couleurs, et com-