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passe pour inconstant, mais il s’amuse toujours de la même manière. Cependant un observateur examinant les choses de plus près aurait vu que M. Cœur avait un autre but que de faire, deux heures durant, ce long tour d’écureuil qui réjouit quotidiennement notre peuple fashionable. Il y avait une voiture, ou plutôt des dames, car la voiture pouvait changer : les dames appartenaient à la plus riche couche sociale et à la plus noble. Il y avait donc des dames, deux dames, toutes deux souverainement belles, une princesse et une comtesse : la comtesse, femme de trente ans ou un peu plus ; la princesse, jeune fille de dix-huit ans.

Quand M. Cœur avait aperçu de loin ces deux dames, il mettait son cheval au pas et suivait, souvent à une large distance, comme s’il eût eu frayeur d’être remarqué.

Nous savons qu’il avait été remarqué.

Bien entendu, il ne saluait jamais ces dames. Du reste, dans toute cette foule brillante qui encombrait le bois alors comme aujourd’hui, M. Cœur n’avait personne à saluer. Tout le monde le connaissait de vue, à cause de sa grande tournure et de son merveilleux cheval ; personne n’aurait su mettre un nom sur ses traits.

Il fallait aller loin de là et regagner les rues qui avoisinent la Sorbonne pour trouver la première fillette qui, cachée derrière son rideau, disait, en le voyant revenir :

— Voici M. Cœur qui passe !

Elles ajoutaient, parlant pour elles-mêmes ou pour d’autres :

— Quel amour de joli garçon ! Et dire qu’il ne regarde jamais aux fenêtres !

Rentré chez lui, M. Cœur peignait ou pensait, ce qui, pour lui, était parfois une seule et même chose.

Or, le lecteur a deviné dès longtemps quel nom était sous ce pseudonyme de M. Cœur. Nous avons à nous rendre cette justice que rien n’a été fait pour égarer sa