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danger, mais l’impression de frayeur ou tout au moins de doute était née.

Le comte écouta les pas légers de Rose qui allaient s’éloignant. Il offrit son bras à Nita, après lui avoir baisé la main pour la seconde fois.

— Vous êtes bien jeune pour m’écouter, princesse, dit-il d’une voix plus ferme qu’on ne l’eût attendu de son aspect chancelant, bien jeune, car je ne puis poser qu’une énigme dont moi-même je cherche encore le mot. Il faudrait ici un homme, un homme habile, honnête et fort. Je ne connais pas cet homme-là, et je me hâte de parler aujourd’hui, parce que je ne sais pas si j’aurai l’occasion ou la force de parler demain.

Mon père était un honnête homme, un gentilhomme. Ma mère était une sainte. Moi, j’ai fait le mal : s’ils ne m’avaient pas envoyé à Paris, peut-être que j’aurais été comme mon père et ma mère. La race est bonne ; je suis le premier de mon nom qui ait perdu l’estime de lui-même.

— Vous, bon ami, murmura Nita incrédule, vous avez fait le mal ! Vous avez perdu l’estime de vous-même !

Le comte poursuivit au lieu de répondre :

— Il y a une femme qui veut se remarier et qui n’est pas encore veuve. Quand elle parle à ces complices, elle appelle l’homme qui lui a donné son nom : Mon premier mari. Vous comprenez bien, n’est-ce pas, princesse ? C’est comme si celui-là était déjà mort !

Ils marchaient dans une allée sombre où l’entrecroisement des branches dépouillées épaississait l’ombre comme un feuillage. Nita sentait le bras du comte tressaillir sous le sien.

— De quelle femme parlez-vous, bon ami ? demanda-t-elle d’une voix altérée.

— Je ne vous dis rien de ce que je voulais vous dire, murmura le comte qui pressa son front à deux mains. Ma tête est plus faible de jour en jour. Si vous saviez comme j’étais fort autrefois ! connaissez-vous quelqu’un ? quelqu’un de jeune, quelqu’un de brave qui puisse vous défendre quand je ne serai plus là ?

— Me défendre !… balbutia Nita.

— Vous défendre en vous aimant, ma fille. Vous êtes à l’âge où le cœur fait son