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sur le plancher. La couleur ruisselait à flots, produisant des choses indescriptibles, dessinées selon un ferme parti pris d’insulte à la raison. La plupart des soldats composant ce turbulent bataillon ignoraient les principes les plus élémentaires de l’art, mais ils étaient dirigés par des caporaux à l’œil sûr, à la main terrible, rompus au métier de mal peindre et qui savaient, les criminels, qui savaient comment on plaque une pelouse, comment on fige une rivière, comment on disproportionne un corps, comment on fausse un mouvement. Ceux-là étaient des artistes, si jamais il y en eut.

Au-dessus des artistes, les maîtres : deux demi-dieux, M. Baruque, dit Rudaupoil, et M. Gondrequin, surnommé Militaire.

M. Baruque était un petit homme de cinquante ans, maigre, sec et sérieux, froidement mystificateur et ami de toutes les charges d’atelier, sous son apparence sévère ; Gondrequin était un bon grand gaillard, naïf et convaincu, estimant haut la position sociale où l’avaient élevé son talent et la bonté de la Providence. On l’appelait Militaire, non point parce qu’il avait eu l’honneur d’appartenir à l’armée, mais à cause du fol amour qui l’entraînait vers la gloire martiale. Le dimanche, M. Gondrequin se déguisait en demi-solde, « dont il avait la moustache », pour employer les expressions de Cascadin l’apprenti. Cascadin l’accusait en outre de glisser sous sa redingote un foulard rouge, pour en laisser passer un coin par sa boutonnière, ce qui le décorait sans garantie de gouvernement.

M. Baruque et M. Gondrequin étaient les deux lieutenants de Cœur-d’Acier. M. Baruque avait des vues d’ensemble et groupait les grandes masses, M. Gondrequin tirait l’œil.

Chaque tableau destiné à MM. les artistes en foire contient un ou plusieurs ob-