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de toi. Sois tranquille, les juges te feront bien parler. C’est louche, ce coup de couteau, mon mignon. Moi, je n’aime pas les mauvais sujets… Tu m’entends, je le sais bien, mais je m’en bats l’œil, à présent !

Elle but un bon verre de vin sur son rôti.

Roland l’entendait en effet. Il lui aurait fait volontiers raison, car le grand appétit des convalescents le tenait ; mais son idée fixe n’allait pas vers la gourmandise. Ce qui l’occupait outre mesure c’était l’habillement neuf, étendu sur les chaises. Il regardait le corsage, la jupe, le châle, les bas, le bonnet, les souliers, surtout les souliers, d’un œil aussi tendre que la Davot elle-même.

La volonté de fuir grandissait en lui. Quelques heures seulement le séparaient désormais de la catastrophe redoutée. Demain, son secret allait éclater comme un retentissant scandale ; son nom, le pauvre nom de sa mère, allait grossir et s’enfler, mordu par cette gloire venimeuse, la plus rapide, la plus bruyante de toutes les gloires, qui surgit, champignon monstrueux et délétère, des couches de la justice criminelle.

Chez nous, il y a un terrible dévergondage autour de ces choses. C’est une dernière débauche, je suppose, et nous serons une population tout aimable quand on nous aura guéris de cette ineffable fringale qui nous attire vers les héros du poison ou du poignard. On ne nous permet pas ces pâtés de sang et de chair morte que la boxe pétrit à la si grande volupté de la joyeuse Angleterre ; on nous défend ces grillades de toreros qu’on dévore en hurlant de joie sous le beau ciel de l’Espagne ; mais on nous permet la cour d’assises et nous réunissons là toutes nos forces : nous avons le premier théâtre criminel de l’univers.