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le blessa : le couteau y rentrait. Il s’endormit, brisé de lassitude.

Il n’y avait pas eu place encore pour la pensée de jouer un rôle. Cette pensée vint le lendemain parce que la première parole qu’il entendit mentionna un message du parquet, demandant s’il était possible de reprendre les interrogatoires. L’instruction criminelle languissait lamentablement, et l’on avait grande impatience, au palais, d’entendre la déposition de la victime. En écoutant cela, Roland sentit renaître sa frayeur de la veille, mais elle prenait un corps et une signification. Cette frayeur, c’était la pensée même de sa mère.

Il avait tout compris, en masse, sans avoir souci des détails. Il était dans un asile, peu importait lequel, et la justice l’y gardait sous sa main comme une pièce du procès intenté à l’homme qui l’avait poignardé. Il vit sa pauvre bonne mère toute pâle sur le lit où elle souffrait. L’idée de fuir naquit aussitôt en lui, l’idée de fuir ou de mourir.

Ce fut précis et solide comme si cette conclusion eût été le résultat d’un long travail mental. Sa mère ! la justice ! Du choc de ces deux notions, la volonté de fuir jaillit impétueusement, impérieusement aussi. Sa mère était si noble et si fière au fond de son malheur ! La justice, conscience des peuples, parle si haut et touche si cruellement ceux-là même qu’elle prétend protéger ou venger !

On lui a choisi un symbole : c’est une main, une grande main de pierre, froide, dure, incorruptible, qui ne sait, qui ne peut avoir aucun ménagement. Cette main déchire tous les voiles, son droit est là, et son devoir, car les nations se soulèvent dès qu’on l’accuse de faiblesse. Il faut qu’elle mette tout à nu. Or, chaque crime suppose un groupe : l’assassin et la victime. Tant pis pour la victime !

Et les choses ici changent de nom ; les choses, si vous voulez, prennent leur vrai nom. Les lâches illusions s’en vont avec