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— Je vous ai déjà défendu de me tutoyer, fit observer Marguerite qui le regardait bien en face. Jusqu’à voir, vous êtes un simple gratte-papier. Moi, quand je voudrai, — Joulou est majeur, — je serai vicomtesse.

— C’est une charmante personne, dit M. Beaufils qui se versa un petit verre d’eau-de-vie. Elle s’exprime avec une étonnante aisance.

Le bon Jaffret se frottait les mains et murmurait :

— Submergé le Comayrol !

Letanneur écoutait. Le fretin de l’étude s’amusait comme au spectacle.

Marguerite reprit :

— Quant au front, j’en ai autant qu’il en faut, rien de plus, rien de moins. Je continue : la fenêtre de mon salon donne sur le boulevard. De sorte que j’ai pu voir, à la rigueur, l’attaque du jeune homme inconnu, lequel portait le costume de Buridan… qui manque dans votre collection, Messieurs… Il y a de ces querelles de taverne qui ont une issue déplorable… et je crois bien me souvenir qu’au moment où vous quittiez le cabaret de la Tour de Nesle, vous aviez votre Buridan avec vous.

— Lancelot pourra témoigner… s’écria Comayrol.

— Mon bon, l’interrompit M. Beaufils, taisez-vous, vous n’êtes pas à la hauteur. Mademoiselle vous excusera, car elle est bon enfant, j’en suis sûr.

— Oh ! fit Marguerite, bon garçon même !… Et quand je vais être votre chef de file, je donnerai une très jolie position à M. Comayrol, car je n’ai pas de rancune.

Beaufils lui envoya un baiser qui la fit rire. Il prenait de l’importance, ce M. Beaufils, beaucoup d’importance.

Le roi Comayrol ne répliqua point, parce que M. Beaufils lui adressa un regard souriant mais dominateur.

Et pendant que M. Beaufils avançait son siège, Comayrol recula le sien en courbant la tête. La pièce tournait ; les rôles changeaient.