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RÉSUMÉ PHILOSOPHIQUE

de son art. Leur savoir se borne à quelques chansons qu’ils ont apprises de routine, et au jeu fort imparfait de quelques instrumens ; lorsqu’ils chantent, on ne peut distinguer ni la tonalité ni la modulation sous les broderies extravagantes dont ils surchargent leurs mélodies ; eux-mêmes sont incapables de répondre aux questions qu’on leur fait à cet égard.

Au reste, il serait difficile qu’il apprissent les airs qu’ils chantent, et qu’ils jouassent autrement que par routine ; car il n’y a, et il paraît n’y avoir jamais eu de notation musicale chez les Arabes. Cette absence de notation n’est pas une des singularités les moins remarquables de la musique de ce peuple. Parmi les traités manuscrits que les anciens théoriciens nous ont laissés, on n’en trouve aucune trace, et tous les musiciens qui furent interrogés sur ce sujet, au Caire, par M. Villoteau, lui dirent qu’ils ne connaissaient rien de semblable. Ils ne comprenaient pas même qu’il fût possible de représenter des sons par des signes. Le premier qui vit le musicien français noter un air qu’il avait chanté, et qui acquit la conviction que l’air était réellement écrit de manière à pouvoir être exécuté par quelqu’un qui ne l’aurait point entendu, celui-là, dis-je, s’écria à plusieurs reprises : quelle merveille ! quelle merveille ! Il parla de ce miracle à ses confrères, qui voulurent s’assurer du fait : lorsqu’ils ne purent en douter, la conclusion, digne d’un peuple ignorant et superstitieux, fut qu’on ne pouvait arriver à un semblable résultat par des moyens naturels, et qu’il y entrait de la magie.

Les instrumens de musique dont se servent aujourd’hui les Arabes, bien qu’ils soient d’une construction grossière et négligée, décèlent dans les principes d’après lesquels ils ont été établis, un certain avancement de l’art. L’eoud, et diverses variétés des instrumens à manche et à cordes pincées, tirent leur origine de l’Égypte et de l’Arabie. Les cordes métalliques dont ces instrumens sont montés, et la plume qui sert à les pincer appartiennent aussi aux Égyptiens et aux Arabes. Transportés en Europe par les Sarrasins, ces instrumens sont devenus l’origine de tous ceux du même genre dont les musiciens ont fait usage en Espagne, en France et en Italie. Ainsi l’eoud est devenu le luth, qui à son tour s’est diversifié dans l’archiluth, le théorbe et la mandore ; le kissar a donné naissance à la guitare, et les tanbours nous ont donné la mandoline et la colascione des Napolitains : l’application qu’on fit de la mécanique au système de cordes pincées de ces instrumens, vers la fin du treizième siècle, nous a donné le clavecin et l’épinette. Le qanon, dont la caisse sonore est un triangle tronqué au sommet, est un instrument monté d’un grand