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DE L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE

rant, que le plus bruyant et le plus tumultueux charivari qu’on puisse imaginer ne donnerait encore qu’une faible idée de l’effet général qui résulte de cet ensemble[1]. » Inhabile à comprendre l’effet harmonieux des accords de la musique européenne, l’oreille des peuples orientaux en est plus tourmentée que satisfaite. « Les Égyptiens n’aiment point notre musique (dit M. Villoteau et trouvent la leur délicieuse. » J’ai connu, à Paris, un Arabe qui aimait passionnément la Marseillaise, et qui me demandait souvent de lui jouer cet air sur le piano ; mais lorsque j’essayais de le jouer avec son harmonie, il arrêtait ma main gauche en me disant : Non, pas cet air-là ; l’autre seulement. Ma basse était pour son oreille un second air qui l’empêchait d’entendre la Marseillaise. Tel est l’effet de l’éducation sur les organes.

Il n’est pas douteux que le système de musique exposé par les auteurs arabes ne remonte à la plus haute antiquité. L’état des connaissances peut varier chez un tel peuple, mais non le principe de ces connaissances ; ce système n’est celui d’aucun peuple de l’antiquité ; ce n’est donc point par imitation qu’il s’est introduit dans l’Arabie, et ce n’est pas non plus par succession de temps qu’il a pu parvenir à l’état que j’ai essayé de faire connaître. Un semblable système ne pouvait qu’être le résultat d’une seule et unique combinaison ; une époque s’est présentée où il semble que ce système aurait pu être modifié : ce fut celle où les doctrines des philosophes de la Grèce s’introduisirent parmi les Arabes, par l’influence de l’école d’Alexandrie ; mais on ne voit pas que les musiciens arabes aient rien pris de la musique des Grecs, et l’on conçoit qu’avec leur organisation ils ne pouvaient en rien faire.

Ce n’est pas à dire toutefois que la pratique de l’art a toujours été au même degré de perfection relative chez les Arabes : il y a lieu de croire que l’époque la plus brillante de leur musique fut antérieure à l’établissement du khâlifat. Mahomet proscrivit ensuite cet art dans son Qoran ; néanmoins on le cultiva avec passion à la brillante cour des khalifes, et ce ne fut que postérieurement aux dernières croisades que la théorie commença à se perdre et que les musiciens n’apprirent plus l’art que par routine. Tel est l’état d’ignorance où sont ces musiciens, nommés Alâtyeh, qu’il n’en est pas un en Égypte, en Syrie et dans toute l’Arabie qui possède les premières notions de la théorie

  1. De l’état actuel de l’art musical en Égypte, dans la Description de l’Égypte, t. XIV, p. 184.