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DE L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE

dans le chant qu’à de certains passages et dans des positions presque convenues. Il n’en est pas de même à l’égard des musiciens de l’Arabie, de la Perse, de l’Égypte ou de la Syrie ; car ceux-ci ne passent pas une note de la mélodie sans y ajouter de petits tremblement de voix qui leur sont particuliers, des trilles, des groupes, des fragmens de gammes chromatiques ascendantes ou descendantes, de telle sorte qu’il est presque impossible de reconnaître sous cet amas de notes la mélodie primitive ; ou plutôt, il n’y a point de mélodie primitive indépendante de ces ornemens, ceux-ci faisant nécessairement partie de toute espèce de chant. Il suit de là qu’une seule phrase se prolonge quelquefois au delà de toutes les bornes raisonnables, et qu’une seule syllabe est soutenue pendant plusieurs minutes pour donner le temps au gosier du chanteur de s’exercer. C’est ainsi que les Qobtes emploient plus de vingt minutes à chanter une seule fois le mot alleluia : d’où l’on peut comprendre que leurs offices religieux doivent être d’une longueur excessive. Telle est la fatigue qu’ils en éprouvent que n’ayant pas la permission de s’asseoir ni de s’agenouiller pendant toute la durée de l’office divin, il leur serait impossible de se soutenir debout, s’ils n’avaient la précaution de poser sous leur aisselle une longue béquille nommée e’kas[1]. Platon nous apprend quelles prêtres d’Égypte chantaient des hymnes sur les sept voyelles en l’honneur d’Osiris : le chant des Qobtes paraît être une dérivation de ces hymnes de l’antiquité.

De l’usage constant d’un chant excessivement orné est résulté, comme une nécessité impérieuse, un système de notation de la musique absolument différent chez les peuples orientaux de ce qu’il a été en occident chez les peuples de l’antiquité et de ce qu’il est chez les modernes. Chez ceux-ci, la mélodie étant ordinairement simple, il a fallu des signes pour représenter chaque son, parce que chacun de ces sons est d’une perception facile et offre un des élémens de la phrase ; chez les peuples de l’Orient, au contraire, le son isolé passe à l’ouïe avec tant de rapidité qu’il n’en est pas remarqué, et qu’il se confond avec d’autres sons dans de certains groupes dont l’oreille est affectée comme si c’étaient des formes simples. Une telle musique a donc moins besoin de signes destinés à exprimer des sons isolés qu’elle n’en a d’une notation propre à représenter des collections de sons ; car ces sons collectifs s’offrent à l’esprit comme autant de faits sonores qu’il y a entre eux de modes d’agrégation. C’est en effet ce qu’on remarque chez les moines grecs de l’Égypte, de la

  1. Villoteau, État actuel de l’art musical en Égypte, p. 300, édit. in-8.