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RÉSUMÉ PHILOSOPHIQUE

nos mains, il ne s’est trouvé malheureusement aucuns fragmens de manuscrits qui eussent la musique pour objet. Pas une mélodie n’a échappé aux ravages du temps ; mais il y a tant d’analogie entre les formes des anciens instrumens et l’état actuel de la musique, sur le sol arrosé par le Nil, qu’il n’y a peut-être pas de témérité à dire que le système ancien vit encore dans le moderne.

Au milieu de l’Égypte existe une tribu, reste malheureux et presque ignoré des anciens habitans de ce pays : cette tribu est celle des Qobtes. Dans sa langue on a retrouvé récemment la langue des Égyptiens de l’antiquité, et l’on a pu, à l’aide des élémens qu’on y a puisés, expliquer les monumens tracés sur les papyrus en écriture démotique ou populaire, bien que celle-ci diffère essentiellement par sa forme des caractères qobtes, dont l’analogie avec ceux de la langue grecque est sensible. Or, si le peuple originaire de l’Égypte a conservé, après tant de siècles, sa langue primitive, malgré le mélange des populations étrangères au pays et la longue domination de celles-ci, n’est-il pas présumable que ce même peuple a aussi gardé le système de sa musique antique ? Il ne s’agit ici, il est vrai, que d’une simple conjecture ; mais j’espère pouvoir lui donner quelque poids par les observations qui vont suivre.

Quiconque a voyagé en Orient et a eu occasion d’entendre exécuter de la musique par des chanteurs arabes, persans ou arméniens, ou bien qui a assisté au service divin dans les monastères des chrétiens grecs, dans les églises des Qobtes ou dans les synagogues des Juifs ; quiconque, enfin, à défaut d’audition, a lu avec attention l’ouvrage de M. Villoteau sur l’état actuel de la musique en Égypte, aura remarqué sans doute la multitude d’ornemens dont les mélodies sacrées ou profanes sont surchargées chez tous ces peuples. Ces ornemens embrassent en général une échelle étendue, et font passer avec rapidité la voix du grave à l’aigu et de l’aigu au grave, ce qui, au premier aspect, et abstraction faite des circonstances de tonalité et de division des intervalles de la gamme, donne à toute la musique orientale un caractère distinctif assez étrange pour l’oreille d’un Européen.

Ces ornemens, dont les peuples de l’Orient font usage dans leur musique, ne ressemblent pas à ceux de la musique moderne qu’on entend sur les théâtres de France ou d’Italie : ceux-ci ont par eux-mêmes une certaine forme mélodique qui se substitue à la forme simple, sans altérer le mouvement ni la mesure, et les chanteurs qui en sont les plus prodigues ne les introduisent