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RÉSUMÉ PHILOSOPHIQUE

tons, les accords d’en bas se font parce que les Chinois appellent ta-kiuen-keou, c’est-à-dire, par le grand intervalle, qui est la quinte ; et les accords d’en haut se font par le chao-kiuen-keou, c’est-à-dire, par le petit intervalle, qui est la quarte. » Voilà donc, si non de l’harmonie complète, au moins un certain emploi de sons simultanément entendus. Ce n’est pas tout. Les Chinois ont une sorte de petit orgue portatif appelé cheng, composé de treize, de dix-neuf ou même de vingt-quatre tuyaux de bambou. Telle est la disposition de ces tuyaux qu’il ne suffit pas de souffler dans le bec du cheng pour lui faire rendre des sons, car ils sont percés de trous latéraux qu’il faut boucher avec les doigts pour les faire résonner. On comprend donc que l’instrument peut faire entendre simultanément autant de sons qu’il y a de trous bouchés, et l’on serait tenté d’en conclure qu’on peut exécuter une grande variété d’harmonie, au moyen de ce petit orgue ; mais, par l’arrangement des tuyaux extérieurs et intérieurs, il n’est pas possible de faire résonner les tierces majeures qui ne se lient point entre elles. J’ai sous les yeux une note fournie par M. Mund, amateur de musique anglais, qui a voyagé en Chine, qui a fait beaucoup d’observations sur l’art musical dans ce pays, et qui en a rapporté une collection d’instrumens. « Les joueurs de cheng, dit-l, ne font entendre communément que des mélodies ; mais, dans de certains cas fort rares, ils jouent une tierce majeure qui, pour une oreille européenne, n’a aucune analogie avec le ton de la mélodie. Cette tierce parait indiquer le repos de certaines phrases. Par exemple, dans leur singulière gamme de fa avec si bécarre, si le chant procède par les notes fa, la, sol, si, ce dernier si est accompagné de dièse, et cette tierce si dure, si étrange à notre oreille, doit être suivie d’ut sans tierce. Jamais on ne leur entend faire de liaisons d’harmonies, c’est-à-dire de suites d’accords ou d’intervalles. » Les liaisons d’accords ne peuvent se faire, en effet, que là où les notes de l’échelle ont des rapports d’affinité, et l’on a vu que la gamme des Chinois n’est point ainsi faite.

Il résulte de ce qui vient d’être dit que l’harmonie n’est pas inconnue à ce peuple, mais qu’elle ne se présente à son esprit que comme un fait isolé indifférent à l’effet de la musique, et d’un emploi borné à quelques notes fort rares. La plupart des instruments de musique des Chinois démontrent d’ailleurs, par le principe de leur construction, que l’objet principal est chez eux la succession des sons. C’est le pien-king, composé d’une certaine quantité d’équerres de pierre sonore appelée pierre de Yu : ces équerres sont accordées dans