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DE L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE

en douze demi-tons égaux : d’où il résulte qu’ils n’admettent point nos classifications de tons et de demi-tons majeurs et mineurs. Une autre conséquence peut encore se déduire de cette égalité des demi-tons dans la gamme des Chinois, c’est qu’il n’y a ni affinité réelle ni répulsion entre les notes de cette gamme ; ce qui paraît impliquer contradiction avec ce que j’ai dit précédemment de l’existence de deux notes sensibles dans l’échelle ; mais il est bon de remarquer que le nom de note sensible ne doit pas être pris ici dans le sens rigoureux que nous y attachons. Les Chinois interdisent à la vérité aux notes pien-tché et pien-koung la faculté de descendre, mais par des principes arbitraires et irrationnels. Je ferai voir dans la suite qu’il ne peut y avoir de note sensible réelle que dans la musique dont l’harmonie est une partie essentiellement constitutive.

Me voici arrivé à cette question de l’harmonie qui se présente tout d’abord à l’esprit d’un Français, d’un Italien, d’un Allemand, aussitôt qu’il s’agit de la musique d’un peuple étranger : car, dans l’état actuel de cet art en Europe, la mélodie ne se conçoit point isolée : la simultanéité des sons nous paraît être une condition nécessaire de l’existence de la musique. L’art tel que nous le concevons forme si bien un tout indivisible, que nous ne comprenons même pas la création d’une mélodie indépendante de son harmonie. J’ai déjà dit, en parlant de la musique des Hindous qu’il n’en est pas de même chez tous les peuples, et que telle peut être la constitution de certaines échelles de sons, que les successions harmoniques n’y soient pas possibles, bien que chacun des sons qui entrent dans la formation de ces échelles puisse entrer dans la composition d’un accord. La gamme des Chinois n’exclut pas absolument la possibilité de l’harmonie, mais tel est l’effet de la disposition de ses tons et demi-tons que la plus grande partie des successions d’harmonie naturelles employées dans la musique européenne ne saurait y trouver place.

Le P. Amiot, après avoir fait une longue et vaine dissertation de mots sur la question de l’existence de l’harmonie dans la musique des Chinois[1], finit par déclarer qu’elle ne s’y trouve pas ; cependant il se met en contradiction avec lui-même dans un autre endroit ; car il dit, en parlant d’un instrument à cordes nommé le kin[2] : « Dans l’accompagnement qui se fait avec le kin, on pince toujours deux cordes en même temps. Dans le kin monté pour les cinq

  1. Mém. sur la musique des Chinois, p. 164.
  2. Ibidem, p. 171.