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DE L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE

sauver les Soui de leur ruine, cependant il avait assez de pénétration pour conjecturer, d’après le genre de musique qu’ils adoptaient, leur chute prochaine, et sous ce rapport, on ne peut lui refuser une intelligence supérieure et miraculeuse qui surpassait celle des autres hommes. »

Ces idées de l’effet moral de la musique et de son influence sur la situation politique des états sont à peu près celles que Platon a exprimées dans sa république et dans plusieurs autres ouvrages : elles sont plus raisonnables qu’on ne le croit communément. Platon, ainsi que les philosophes les plus célèbres de la Chine, considérait la simplicité des mœurs et le calme des passions comme le fondement le plus solide du maintien de la constitution et de la tranquillité d’un royaume ou d’une république : or, il est de certains systèmes de tonalité dans la musique qui ont un caractère calme et religieux et qui donnent naissance à des mélodies douces et dépouillées de passion, comme il en est qui ont pour résultat nécessaire l’expression vive et passionnée, ainsi que je le ferai voir en avançant dans ce résumé philosophique de l’histoire de la musique. À l’audition de la musique d’un peuple, il est donc facile de juger de son état moral, de ses passions, de ses dispositions à un état tranquille ou révolutionnaire, et enfin de la pureté de ses mœurs ou de ses penchans à la mollesse. Quoi qu’on fasse, on ne donnera jamais un caractère véritablement religieux à la musique sans la tonalité austère et sans l’harmonie consonante du plain-chant ; il n’y aura d’expression passionnée et dramatique possible qu’avec une tonalité susceptible de beaucoup de modulations, comme celle de la musique moderne ; enfin, il n’y aura d’accens langoureux, tendres, mous, efféminés, qu’avec une échelle divisée par de petits intervalles, comme les gammes des habitans de la Perse et de l’Arabie, ou avec des multitudes d’intervalles inégaux comme les modes des Hindous. L’inspection de la musique d’un peuple peut donc donner une idée assez juste de son état moral, et Platon et les philosophes chinois n’ont pas été à cet égard dans une erreur aussi grande qu’on pourrait le croire ; seulement ils se sont trompés en ce qu’ils ont considéré comme la cause ce qui n’est originairement que l’effet.

Le merveilleux ne manque jamais dans l’histoire des arts chez les peuples anciens ; les Chinois en ont mis dans l’origine de leur système de musique. Hoang-ty, disent-ils, venait de conquérir l’empire (2776 ans avant l’ère chrétienne) et de mettre sous le joug tous ceux qui s’étaient rangés sous les étendards de son compétiteur Tché-yeou. N’ayant plus d’ennemis à combattre, il s’appliqua à rendre ses sujets heureux. Ce fut vers ce temps qu’il donna