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DE L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE

La Chine est, après l’Inde, le plus où se trouvent les plus anciennes traditions et les plus vieux monumens des arts et des sciences. Nous connaissons peu la musique des Chinois ; ce que nous en ont appris les missionnaires est insuffisant. Toutefois, le peu de notions que nous en avons acquises nous démontrent que cet art a été fait sur d’autres principes que les nôtres par ce peuple singulier. Nous avons à cet égard le témoignage des Chinois eux-mêmes. Lorsque le P. Amiot leur faisait entendre sur le clavecin et sur la flûte les plus beaux morceaux de la musique de son temps, il remarquait sur la physionomie des hommes les plus éclairés un air d’ennui et de distraction : il ne tarda point à acquérir la preuve que cette musique n’avait en effet aucun charme pour des oreilles chinoises. « Les airs de notre musique, lui dit un lettré, passent de l’oreille au cœur. Nous les sentons, nous les comprenons ; ceux que vous venez de jouer ne font pas sur nous cet effet. Les airs de notre ancienne musique était bien autre chose encore : il suffisait de les entendre pour être ravi de plaisir. Tous nos livres en font un éloge pompeux ; mais ils nous apprennent en même temps que nous avons beaucoup perdu de l’excellente méthode qu’employaient nos ancêtres pour opérer de si merveilleux effets. » Lors de l’ambassade de lord Macartney à la Chine, on lui tint à peu près le même langage après avoir entendu ses musiciens.

On voit que c’est partout le même système : partout l’art est représenté comme ayant opéré des miracles dans l’antiquité, et comme ayant dégénéré ensuite. Le jésuite Amiot ne pouvait juger que des sensations produites en lui par la musique des Chinois modernes, et cette musique n’était pas de nature à lui plaire. Il avait espéré convaincre les Chinois de la supériorité de celle qu’il apportait de l’Europe, et il ne réussit pas plus à opérer leur conversion à cet égard que les Chinois à lui faire aimer leurs mélodies. Chacun resta dans l’opinion qu’il tenait de l’éducation de ses organes.

Il faut rendre justice au missionnaire : il ne négligea rien pour s’instruire de cet art si nouveau pour lui, et il se mit à lire les livres qui traitent de la musique ancienne et moderne des Chinois. Ces livres sont au nombre de soixante-neuf, à quoi il faut ajouter quelques ouvrages qu’Amiot n’a pas connus ou dont il ne parle pas ; entre autres l’encyclopédie littéraire de la Chine, écrite par Ma-Touan-lin en 1319, où tout ce qui est relatif à la musique est traité dans la quinzième section, divisée en quinze livres. Malheureusement l’esprit philosophique manquait au bon jésuite, et ses connaissances