Page:Fétis - Biographie universelle des musiciens, t1.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
l
RÉSUMÉ PHILOSOPHIQUE

qui se multipliaient les uns par les autres. Dans une telle musique, les rapports rationnels des sons étaient nuls ; mais les accens expressifs étaient abondans ; avantage qui devait l’emporter sur toute autre considération chez un peuple fanatique et voluptueux. Gardons-nous donc de comparer cette musique à la nôtre, pour en apprécier les qualités ou les défauts : considérons-la en elle-même, et nous serons convaincus que des hommes étrangers par leur éducation au sentiment de ces rapports exacts, ne pouvaient en comprendre la nécessité, émus qu’ils étaient d’une sensibilité musicale autre que la nôtre.

Faut-il que je dise que des gammes semblables à celles de la musique des Hindous sont absolument inharmoniques ? Non sans doute ; mes lecteurs l’ont déjà deviné. Quels accords pourraient résulter des intervalles bizarres qu’on y rencontre ? Quels enchaînemens d’harmonie pourraient se faire dans ces gammes, privées souvent d’une partie de leurs notes naturelles et altérées dans d’autres ? On conçoit que rien de tout cela n’est possible avec de semblables élémens. Ne nous étonnons donc pas de voir Jones, Ouseley et les autres écrivains qui ont traité de la musique des Hindous, déclarer qu’ils n’ont rien entendu dans l’Inde qui ressemblât à de l’harmonie : cette circonstance seule me confirmerait dans l’opinion où je suis que les anciens modes hindous ne sont pas encore entièrement perdus. Les chanteurs s’accompagnent, il est vrai, avec le vina ; mais cet instrument ne leur sert que pour jouer des ritournelles ou pour charger la mélodie d’ornemens.

On trouve dans l’Inde le plus ancien exemple de notation musicale qui existe vraisemblablement aujourd’hui. Cinq notes de l’échelle des sons y sont représentées par les consonnes du nom de ces notes ; les deux autres le sont par les voyelles brèves a et i. La substitution de voyelles longues aux brèves double la valeur de chaque note ; d’autres signes particuliers servent à représenter des valeurs plus longues encore. Les octaves inférieures ou supérieures de l’échelle, la liaison des notes, l’accélération du mouvement, les agrémens de l’exécution, et le doigté du vina, s’expriment par des petits cercles, des ellipses, des lignes courbes ou droites, horizontales ou verticales, placés de diverses manières. La fin d’un chant est marquée par une fleur de lotos. À l’égard de la mesure et du rhythme, on les détermine par la prosodie poétique. En général la mesure diffère peu de celle de la musique européenne ; il n’en est pas de même du rythme ; celui-ci est soumis à des inégalités qui donnent aux mélodies de l’Inde un caractère original.