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DE L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE

de la musique des Hindous, et celle de la musique européenne soit telle que le dit l’écrivain anglais, et je crois qu’un examen approfondi y ferait encore découvrir d’assez grandes différences.

W. Jones nous a appris lui-même à nous mettre en garde contre ses opinions relatives à la tonalité de la musique des Hindous, par la traduction qu’il a donné en notation européenne d’un air tiré du livre de Soma. De son aveu cet air est dans le mode hindola, qui a quelque analogie avec notre ton de la mineur, sauf la troisième note qui tient le milieu entre ut bécarre et ut dièse, à un quart de ton de distance, et avec la singulière suppression de la deuxième et de la cinquième note, c’est-à-dire de si et de mi. Jones avoue que ces suppressions doivent être faites dans le mode hindola. Cependant, dans la traduction, il supplée à ces notes qui manquent dans l’original, et il écrit l’air en la majeur, avouant toutefois que, pour se conformer à l’expression langoureuse des paroles, on pourrait l’écrire dans le mode mineur. On peut voir à la planche 1re  de musique, à la suite de ce résumé, fig. 1, cet air défiguré par W. Jones[1] ; la fig. 2 représente ce même air dans sa forme réelle. Il pourra donner une idée assez juste de l’ancienne musique des Hindous, à l’exception des intervalles altérés d’un quart de ton, dont il est impossible que nous ayons d’autres notions que celle d’un son faux.

Croyons donc Paterson lorsqu’il dit, dans son Mémoire sur l’échelle musicale des Hindous, qu’il y a une difficulté à peu près insurmontable à noter dans notre musique les raugs et rangines (mélodies), parce que notre système ne fournit pas de signes qui puissent exprimer certains intervalles.

En dépit des impressions désagréables que font sur notre oreille les anciennes gammes de la musique de l’Inde, et les mélodies qui en sont le produit, nous pouvons comprendre qu’il y a dans tout cela un principe particulier d’art qui mérite toute notre attention : ce principe est celui d’une expression passionnée qui a besoin d’une multitude d’accens pour tous les genres d’affections. C’est ce que les musiciens hindous ont très bien compris quand ils ont dit que chaque mode est l’expression d’une passion. Toutes ces formes de gammes, ces trois sortes d’intervalles simples, ces sons variables, Cees notes supprimées, étaient autant d’élémens divers d’une langue passionnée

  1. Malgré ses efforts, sir W. Jones n’a pu donner à la mélodie dont il s’agit le caractère de la tonalité de notre ton de la majeur ; car dans cette même mélodie, le rapport de sol dièse à re, qui se fait sentir partout, établit l’idée de la gamme des Chinois, dont il sera parlé plus loin, c’est-à-dire, d’une gamme dont la quatrième note est plus élevée d’un demi ton qu’elle ne l’est dans notre gamme majeure.