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RÉSUMÉ PHILOSOPHIQUE

logie de ces peuples se rencontrent à chaque pas, et ceux de leur littérature sacrée nous instruisent de l’état de leurs arts et de leur civilisation jusque dans les temps les plus reculés. L’Inde et la Chine, qui, dans les mœurs et dans les usages ont peu subi l’influence des révolutions, sont donc les deux pays par lesquels je dois commencer l’aperçu philosophique de l’histoire de la musique.

Rien n’est plus difficile que de se former une idée juste d’une musique dont les élémens sont absolument différens de ceux qui servent de base à la musique qu’on a entendue pendant toute sa vie : les musiciens les plus instruits ont beaucoup de peine à se défendre en pareil cas des préjugés de leur oreille. Un exemple prouvera ce que j’avance.

M. Villoteau, ancien artiste de l’Opéra, était du nombre des savans qui suivirent le général Bonaparte dans l’expédition d’Égypte. Sa destination était de recueillir des renseignemens sur la musique des divers peuples de l’Orient qui habitent en cette contrée. Dès sont arrivée au Caire, il prit un maître de musique arabe qui, suivant la coutume de ces musiciens, faisait consister ses leçons à chanter des airs que son élève devait retenir : car, dans ce pays, l’artiste le plus habile est celui qui sait de routine le plus grand nombre de ces airs. M. Villoteau, qui se proposait de rassembler beaucoup de mélodies originales du pays où il se trouvait, se mit à écrire sous la dictée de son maître ; et remarquant, pendant qu’il notait sa musique, que l’instituteur détonnait de temps en temps, il eut soin de corriger toutes les fautes qui lui semblaient être faites par celui-ci. Son travail terminé, il voulut chanter l’air qu’on venait de lui enseigner, mais l’Arabe l’arrêta dès les premières phrases en lui disant qu’il chantait faux. Là-dessus, grande discussion entre le disciple et le maître, chacun assurant que ses intonations sont inattaquables, et ne pouvant entendre l’autre sans se boucher les oreilles. À la fin, M. Villoteau imagina qu’il pouvait y avoir dans cette dispute quelque cause singulière qui méritait d’être examinée ; il se fit apporter un Eoud, espèce de luth dont le manche est divisé suivant les règles de l’échelle musicale des Arabes ; l’inspection de cet instrument lui fit découvrir, à sa grande surprise, que les élémens de la musique qu’il savait et de celle qu’il voulait apprendre étaient absolument différens. Les intervalles des sons ne se ressemblaient pas, et l’éducation du musicien français le rendait aussi inhabile à saisir ceux des chants de l’Arabie qu’à les exécuter. Le temps, une patience à toute épreuve, et des exercices multipliés finirent par modifier les dispo-