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RÉSUMÉ PHILOSOPHIQUE

De là vient que la poésie, la peinture et l’art statuaire ont reproduit depuis l’antiquité jusqu’à nos jours un certain nombre d’idées principales, moins considérable qu’on ne serait tenté de le croire, et sous des formes plus ou moins analogues ; la musique, au contraire, a varié plus de vingt fois radicalement dans sa constitution et dans ses effets ; elle a été soumise à des multitudes de transformations accessoires qui semblaient en faire autant d’art différens.

Les poèmes d’Homère, d’Hésiode, de Théocrite, de Pindare et d’Anacréon ont enfanté toute la poésie de l’antiquité latine, du moyen âge et des temps modernes ; on en trouve quelque chose dans les productions du génie le plus indépendant. Homère et Virgile vivent encore, même dans les poèmes du Dante : les idées créatrices de celui-ci ont développé les idées de Milton. La tragédie d’Eschyle, d’Euripide et de Sophocle se retrouve en partie dans la tragédie moderne ; Shakespeare lui-même, nonobstant l’originalité de ses conceptions, y a puisé des formes et des idées. Les fables de l’Inde et de la Grèce ont inspiré nos fabulistes. Nos bas-reliefs et nos statues ne diffèrent des produits du ciseau de Phidias ou de Praxitèles que par la supériorité de ceux-ci ; et même, à l’art des peintres grecs, les peintres modernes n’ont guère ajouté que la perspective et le coloris, c’est-à-dire, les modifications de la forme.

Mais qu’y a-t-il de commun entre la musique des Grecs, celle des Hindous, des Chinois, des Arabes, la psalmodie harmonique du moyen âge, le contrepoint des maîtres du seizième siècle et l’art de Beethoven, de Weber et de Rossini ? Chez tous ces peuples, à toutes ces époques, l’art semble n’avoir ni le même principe ni la même destination ; l’échelle même des sons, ce qu’en un mot nous appelons la gamme, a été tour à tour constitué de vingt manières diverses ; l’effet de chacune de ces gammes a été de donner à la musique une puissance particulière, et de lui faire produire des impressions qui n’auraient pu être le résultat d’aucune autre gamme. Avec l’une, l’harmonie est non seulement possible, elle est une nécessité ; avec l’autre, il ne peut y avoir que de la mélodie, et cette mélodie ne peut être que d’une certaine espèce. L’une engendre nécessairement la musique calme et religieuse, l’autre donne naissance aux mélodies expressives et passionnées. L’une place les sons à des distances égales d’une facile perception par leur étendue ; dans l’autre, ces distances sont irrationnelles et excessivement rapprochées. Enfin, l’une est essentiellement monotone, c’est-à-dire d’un seul ton ; dans l’autre, le