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RÉSUMÉ PHILOSOPHIQUE

l’apparition du si bémol, et une modulation dans le mode sriraga transposé des mêmes Indous, s’établit momentanément. Je ne puis trouver à cette mélodie et aux airs Cath Eacroma et Gair Olltach[1] qu’une origine orientale. De là vient que l’harmonie ne peut s’y appliquer, tandis que toutes les mélodies irlandaises d’origine septentrionale s’accompagnent sans peine d’accords réguliers. Cette distinction me semble de grande importance. Les rapports des mélodies de l’Inde avec quelques-unes de l’Irlande n’ont point échappé à W. Gore Ouseley. Les Irlandais disent que leurs musiciens furent les instituteurs des bardes welches ; si cela est, ceux-ci n’ont pris d’eux ni la forme de leurs instrumens, ni le système de tonalité dont je viens de parler. Il y a lieu de croire, au contraire, que la tonalité harmonique a passé des Welches aux Irlandais, et que la musique originaire de ceux-ci fut tout entière dans le système oriental.

Un passage curieux de la Topographie de l’Irlande de Girald Barry (surnommé Cambrensis) vient à l’appui de mon opinion à cet égard. Cet écrivain s’exprime ainsi à l’égard des musiciens du pays : « L’aptitude de ce peuple pour le jeu des instrumens est digne d’attention ; il a, en ce genre, beaucoup plus d’habileté qu’aucune autre des nations que j’ai vues. La modulation n’est point chez lui lente et triste comme sur les instrumens de la Bretagne, auxquels nous sommes accoutumés, mais les sons, rapides et précipités, sont cependant suaves et doux. Il est remarquable qu’avec une telle vélocité des doigts, la mesure musicale est conservée, etc.[2] » Ces sons rapides et précipités qui n’ôtent rien à la douceur de la mélodie, sont précisément les ornemens multipliés de la musique orientale dont j’ai fait remarquer l’existence chez les Arabes, les Persans, les Juifs d’Orient, les Grecs modernes et les Arméniens : ce sont les signes caractéristiques de toute musique née en dehors des contrées occidentales et septentrionales. La coïncidence du fait qui nous est transmis par Girald avec les rapports de tonalité de certaines

  1. Publiés par Joseph Walker dans le neuvième appendice de ses Mémoires historiques des bardes irlandais.
  2. In musicis instrumentis, commendabilem invenio istius gentis diligentiam ; in quibus, præ omni natione quam vidimus, incomparabiliter est instructa. Non enim in bis, sicut in Britannicis (quibus assueti sumus) instrumentis, tarda et morosa est modulatio ; verum velox et præceps, suavis tamen et jucunda sonoritas. Mirum, quod in tantâ tam præcipiti digitorum rapiditate musica servatur proportio, etc. (Gyrald. Camb. Topog. Hib. Distinct., 3, c. 11.)