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MÊME SANG


SCÈNE : 1918.
Jour de la rentrée des Alliés à Lille, France.
Nuit,

La scène représentera l’intérieur d’une maisonnette aux fenêtres brisées, murs troués par des obus, meubles cassés, enduits de poussière et pêle-mêle avec des débris de bois et de pierres. La scène sera d’abord obscure et, peu à peu, un rayon de lumière (pour figurer un rayon de lune) glissant par une fenêtre du fond, répandra une pâle clarté. On entendra, comme de très loin, des rumeurs confuses mêlées de cris joyeux, de chants de victoire, de salves d’artillerie. Des feux de Bangale, par moments, figureront de lointaines lueurs de feux de joie ou d’incendie. Une fanfare dissimulée jouera les airs de « La Marseillaise » et le « Ô Canada, mon pays, mes amours ». Peu à peu les clameurs, les chants lointains s’évanouiront, ainsi que les airs de fanfare, pour faire place à une musique douce et mélancolique, et lointaine aussi. La scène sera déserte. Puis, bientôt, une ombre humaine se profilera dans la fenêtre par où passe le rayon de lune. Cette ombre humaine sera un soldat du 22e canadien-français. Arrêté devant la fenêtre il semblera scruter d’abord les environs extérieurs, puis il examinera la scène.


SCÈNE PREMIÈRE.
Le Canadien, penché dans la fenêtre.

Personne !…

(Léger repos pour secouer tristement la tête)


Ruine sombre où glisse un rayon d’astre !
Tout conserve en ces lieux l’empreinte du désastre !
Et ces tristes débris qui s’imprègnent de deuil
D’un prince ambitieux nous révèlent l’orgueil.
À voir tous ces dégâts où gisent les chaumières,
Et dans le pêle-mêle énorme de ces pierres
De ces toits enfoncés et des murs écroulés,
On sent de toutes parts les mondes ébranlés.
Tout tombe : les petits, les rois et les empires !