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L’ORPHELINE

Ce baume merveilleux est déjà dans mon âme,
Il ranime mon cœur, il l’enivre et l’enflamme !
Oui, je veux être aimée ardemment et toujours,
Et je veux désormais vivre de mes amours !
J’aime de tout mon cœur, et, loin de ma patrie
Je ne souffrirai plus… l’amour m’aura guérie !
Car je veux être à toi, mon brave Canadien,
Je sens que mon amour est à l’égal du tien !

LE CANADIEN avec ivresse

Ah ! pourrais-je espérer plus prodigieux rêve !
Jusqu’à ce jour la vie apparaissait si brève !…
Là-bas, dans la tranchée, on n’avait que l’espoir
De mourir bravement en faisant son devoir.
La mort à chaque instant, de sa main sanguinaire
Qui frappe sans pitié, remuait l’ossuaire,
Et dans le tas des os — sinistre fossoyeur
Qui mêle à son travail quelque refrain railleur —
À chacun de nous tous elle indiquait la place,
Tandis qu’un rire affreux se crispait sur sa face.
Quelle vision douce, après ce cauchemar,
De savoir qu’en la vie on a notre ample part
De toutes les douceurs de toutes les délices,
Et de savoir aussi qu’après nos sacrifices,
Après avoir vécu dans l’ombre de la mort,
L’existence nous offre un tel bonheur encor !

L’ORPHELINE

Le bonheur de s’aimer et d’être l’un à l’autre !

LE CANADIEN

Pourra-t-il être un sort plus heureux que le nôtre ?…

(En même temps que ces paroles il aura entouré la taille de la jeune fille et poursuivra d’une voix très douce et très tendre)

Et déjà je nous vois dans le petit chez-nous
Entouré de verdure, et d’un feuillage doux
Plein de roucoulements, bruyant de mélodies
Qui montent vers le Ciel en saintes harmonies.
Et quel parfum suave avec ces chants d’amour !
Quel tableau ravissant quand vient la fin du jour,
Lorsque de feux vermeils s’enflamme la ramure !
Tout, alors, bénit Dieu dans un tendre murmure,
Tout chante au Roi des Rois l’hymne mélodieux