Page:Féron - Même sang, 1919.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ce ne fut pas non plus la folle ambition
De gagner sous le feu la réputation.
Et nous sommes venus, nous petits de la terre,
Non pas pour nous grandir dans cet art de la guerre
Et nous hausser ensuite en un orgueil hautain,
Non plus pour acquérir quelque riche butin,
Non… Ni l’amour du gain, ni l’appât du mérite,
Non plus de voir, un jour, à notre nom écrite
Quelque page d’histoire, ou des chants immortels
Chantés par le poète en des vers solennels.
Ni sommes-nous venus pour défendre l’Empire,
— L’Empire d’Albion dont ma race est martyre, —
Ni promesse ou menace — outil vain du plus fort —
N’a dirigé nos pas ; car la peur ou la mort
N’a jamais émoussé la cuirasse du brave ;
Car nous sommes venus libres de toute entrave
Et de toute contrainte, avec un cœur léger,
Vaillant, pas même ému par l’aspect du danger,
Et sans rien redouter de la misère immense ;
Car nous sommes venus simplement pour la France.

L’ORPHELINE, avec ardeur

Simplement parce que vous étiez tous français !

(À mi-voix)

Comme frère déjà je vous reconnaissais

LE CANADIEN
(dans un tendre reproche)

Et pourtant vous doutiez encore tout à l’heure…

(Se rapprochant de la jeune fille et croisant les bras)


Un peuple s’éteint-il ?… Non, toujours il demeure.
Et groupe tout d’abord issu de votre sang
Et de votre valeur, sans cesse grandissant
Ce groupe devint peuple. Et dans sa fierté d’âme,
Avec un cœur brûlant d’une héroïque flamme,
N’oubliant pas sa mère et le vieux sol natal,
En dépit de l’espace et d’un pouvoir brutal,
Et malgré la longueur d’un siècle de souffrance,
Ce peuple est demeuré le vrai fils de la France.
Fils par la chair, le sang, la langue, la valeur,
Pouvait-il de sa mère ignorer le malheur ?…

(Prenant un ton amer)