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L’ORPHELINE Aussi avec fierté !…

(Elle déposera sa lampe sur le guéridon)

LE CANADIEN, même jeu

Oui… même quand un peuple est par l’autre dompté.
Car on est toujours fier de son nom, de sa race.
Qu’il soit vaincu, jamais un peuple ne s’efface,
Il grandit sous le joug, puis se redresse et mord ;
De faible qu’on l’a fait il peut être le fort.
Tenez, prenons la France. — Un jour à l’agonie
Sous les durs coups de bec de l’aigle Germane,
La colombe française en son nid gémissait.
Hier, d’un noble effort elle se redressait,
Puis, d’un vol foudroyant, jusqu’en la Forêt Noire
Chassait l’aigle cupide et gagnait la victoire.
C’est la Belgique aussi qui brise tous ses fers ;
C’est la Pologne esclave ayant de l’univers
Si longtemps essuyé la rage monstrueuse ;
C’est la Lorraine, et c’est l’Alsace malheureuse.
Or, à son tour demain, notre fier Canada,
— Qu’un prince de la France, aux Anglais concéda, —
« Mon pays, mes amours », relèvera la tête,
Et, tel le coq Gaulois a secoué sa crête,
D’un simple coup de dents on verra le castor
Rompre sa lourde chaîne et vivre libre encor !

(Le Canadien, s’interrompant, remarque l’orpheline qui presse un mouchoir sur ses yeux, et comme chagriné ou confus de ce qu’il vient de dire, reprend en affectant un ton léger)

Que vous disais-je là ?… Des tas de balivernes…
Aussi, je suis trop fait aux propos des casernes.
Et pour peu que l’on veuille écouter mes discours,
Je ne pourrais cesser de bavarder toujours.
C’est ainsi que j’oublie envers vous mon offense
De n’avoir pas chez vous expliqué ma présence.

L’ORPHELINE

(Relevant la tête et souriant.)

Votre offense, est légère…

LE CANADIEN

Et vous me pardonnez

De m’être dans ces lieux, par mes pas profanés,
En intrus introduit ?