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LES TROIS GRENADIERS

pions de l’armée. On ne put donc que les plaindre de tout cœur en attendant qu’on les vit pourfendus.

Pertuluis de son dos venait de rencontrer les tables qui s’entassaient en barrage devant la porte ; pour ne pas s’y voir embrocher, il exécuta un bond de côté et, pour une fois encore, il faillit être perforé par la rapière de Foissan. Quant à Regaudin, il se voyait acculé dans un angle opposé de la taverne, et il n’arrivait plus qu’à parer au hasard les coups de ses adversaires.

— Biche-de-bois ! jura-t-il au moment où une pointe d’épe venait de lui effleurer la gorge, ces salopards vont finir par nous faire voir des étoiles !

Ventre-de-bœuf ! fit Pertuluis à son tour, ce goret de Fossini doit posséder des sortilèges, que je n’arrive pas à lui trouer la couenne !

Mais ces bravades des deux grenadiers ne rendaient pas leur situation plus avantageuse, et, enfin, acculés tous deux au mur de la baraque, ils ne pouvaient plus attendre que la seconde où l’acier fouillerait leurs entrailles.

Mais, soudain, tout s’arrêta net… les fers demeurèrent immobiles, haut levés, les êtres se statufièrent. Un fracas terrible venait de retentir contre la porte extérieure, toute la baraque en fut secouée… Puis un autre heurt comme un coup de tonnerre : on eût dit qu’on tentait d’enfoncer la porte à coups de bélier !

— Débarrassez la porte ! cria la mère Rodioux.

Quelques soldats s’élancèrent pour retirer tables et escabeaux empilés jusqu’au plafond… mais trop tard : le tout à cet instant même dégringolait, culbutait, volait en pièces de tous côtés, si bien que chacun s’écarta le plus vite possible pour se mettre à l’abri des éclats de bois, et dans le cadre de la porte dont il n’existait, plus que des morceaux informes, on vit se dresser une haute taille d’homme, souple et mince, au haut de laquelle souriait narquoisement une figure halée, maigre et longue, mais éclairée de yeux étincelants.

Alors de toutes les bouches agitées par la stupeur s’envola ce nom :

— Flambard !

Mais aussitôt il se passa quelque chose qui aurait pu être comparée à l’éclair qui brille tout à coup, zigzague, frappe, tue… Le spadassin avait bondi, franchi d’un saut prodigieux l’espace qui le séparait de Foissan, et de sa rapière qu’il venait de mettre à la main avait fait sauter celle de l’italien. Et ceci s’était passé à la seconde même où Foissan, profitant de la distraction générale, lançait la pointe de son épée à la gorge de Pertuluis qui avait commis l’imprudence de tourner la tête du côté de la porte. Et la rapière de Foissan, à peine touchée par la prodigieuse rapière de Flambard, s’échappa de ses mains, monta, claqua avec bruit contre le plafond, se brisa et retomba sur le carreau en trois tronçons

Et dans le silence religieux qui suivit cet exploit, volèrent ces paroles nasillardes :

— Par les deux cornes de satan ! quel bon vent m’a guidé jusqu’ici !… Je vous cherchais, signor Fossini !

Une joyeuse clameur s’éleva du groupe des soldats.

Mais aussitôt, Pertuluis, revenu de sa stupeur, poussait un juron formidable et, la rapière bien assujettie au poing, se ruait contre l’italien et ses gardes… Mais Flambard le contint d’un geste autoritaire.

Et vous, jeunes associés ! dit le spadassin aux trois compagnons de l’italien, lesquels, après avoir abandonné la partie contre Regaudin, demeuraient toujours en garde et menaçants. Voyons, ajouta-t-il, votre chef est désarmé, posez les armes à votre tour, vous êtes mes prisonniers !

Flambard, sans défiance, s’avança vers les trois jeunes hommes. Mais déjà Foissan hurlait :

— Sus ! Sus !

En même temps, sa main droite parut armée d’un pistolet dont le coup, dirigé contre Flambard, partit presque à bout portant.

Mais le spadassin avait vu le geste : à la seconde même où le coup partait, il ployait sa haute taille si rapidement et de telle sorte qu’on crut qu’il allait s’aplatir sur le plancher ; puis il se redressait comme un ressort après le coup de pistolet dont il sentit la balle lui effleurer les reins. Alors il se rua contre Foissan, le saisit dans ses bras nerveux, le serra avec la force d’un étau, et le laissa tomber : l’italien s’affaissa lourdement comme un corps sans vie, les os à demi rompus. Tout cela s’était passé avec une rapidité et une dextérité si remarquables que les soldats en demeuraient tout ébahis. Mais La Pluchette ayant poussé un « hourra » retentissant, toute la