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LES TROIS GRENADIERS

Mais de suite Flambard, avec son audace accoutumée, intervint :

— Excellence, il n’est en ce fort d’autre commandant que le capitaine Vaucourt, votre dévoué serviteur !

— Oh ! oh ! fit Vaudreuil avec un accent courroucé.

— Que signifie ? s’écria M. de Lévis sur un ton sévère. Est-ce que le capitaine Vaucourt n’a pas été relevé de ses fonctions ?

— C’est possible, répliqua aigrement Flambard. Mais s’il a été relevé, c’était bien à tort et par des gens encore qui n’avaient pas l’autorité de le faire.

— Prenez garde, grenadier Flambard ! s’écria M. de Vaudreuil sur un ton plein de menace ; prenez garde ! car cette autorité fut la mienne et celle de Monsieur de Lévis !

— Excellence, j’en suis fâché, rétorqua Flambard avec une certaine hauteur, mais je dois vous déclarer de suite et sans ambages que le capitaine Vaucourt a préféré se soumettre avant tout à l’autorité du roi !

— Du roi ! fit de Vaudreuil avec la plus grande stupeur.

— Hé ! Monsieur, s’écria Lévis, que vient faire ici le nom du roi ? Monsieur Flambard, ajouta-t-il, sur un ton concentré, à la fin notre patience se lasse. Sachez bien que nous représentons le roi !

— Après moi, seulement, Monsieur le général, repartit le spadassin sur un ton terrible. Le premier, j’ai cette autorité du roi, et au nom du roi j’ai réinstallé le capitaine Vaucourt dans son commandement ! Et au nom du roi — et je vous dis que ma patience à moi aussi se lasse — oui, au nom du roi et si l’on continue à donner libre champ aux traîtres et à jeter dans les fers les fidèles sujets de Sa Majesté… oui, par les deux cornes du diable ! au nom de cette Majesté je vous fais tous mettre en charpie à coups de canons ! Grenadiers !… clama-t-il aussitôt de sa voix éclatante.

Et mettant la rapière à la main :

— Oui, par les deux cornes de Satan ! vous allez voir céans qui commande ou qui ne commande pas ! Grenadiers !…

— Taille en pièces !

— Pourfends et tue !

L’arme au poing, rugissants, Pertuluis et Regaudin fendirent la foule et vinrent prendre place aux côtés de Flambard. Et l’étonnement médusait la foule, et tous les yeux s’attachaient avec une admiration inouïe sur le spadassin.

— Et pour vous prouver, Messieurs, continuait Flambard de sa voix qui, maintenant, éclatait comme des coups de foudre, que nous sommes tous loyaux sujets du roi…

— Eh bien ! Jean Vaucourt, capitaine canadien et fidèle et dévoué sujet de Sa Majesté le roi de France, commandez en tête les trois grenadiers, et à Québec et à nous seuls allons chasser les Anglais, et malédictions sur les lâches et les traîtres ! Grenadiers, alerte ! Pour le Roi ! Pour la France ! Pour la Nouvelle-France !

— Marche ! commanda Vaucourt en tirant l’épée et se plaçant à la tête des trois grenadiers disposés à la file.

Le spadassin se tourna vers les soldats ébaubis.

— Et quels sont d’entre vous, soldats du roi de France, les braves qui suivent les trois grenadiers et leur capitaine canadien ?

Alors, chose curieuse, tous les soldats de la garnison sans un mot, sans un murmure, mirent le fusil sur l’épaule et sur six hommes de front marchèrent à la suite des grenadiers qui, précédés par le capitaine Vaucourt, se dirigeaient vers la porte de la palissade demeurée ouverte.

Une voix d’homme s’éleva à cette minute :

— Et moi aussi j’en suis… Vive le Roi !

À la stupeur générale on vit le vicomte de Loys, une épée à la main, venir prendre place immédiatement derrière Regaudin.

Mais de suite une voix de femme éplorée suivait la voix de l’homme :

— Jean Vaucourt !… Jean Vaucourt !…

C’était Héloïse qui, éperdue, accourait.

— Oh ! oui, arrêtez-le, Madame, murmurait M. de Vaudreuil, dites-lui que nous irons tous à Québec, mais plus tard !

Et la jeune femme alla porter à son mari les paroles du gouverneur.

Du regard le capitaine consulta le spadassin.

Lui esquissa un sourire ambigu et à toute la troupe, commanda :

— Halte, soldats du roi ! Présentez les armes à votre gouverneur et à votre général !

Et toute la troupe obéit…

Le gouverneur, M. de Lévis et tous les officiers demeuraient interdits par l’audace de Flambard et le prestige qu’il exerçait sur les soldats.