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LES TROIS GRENADIERS

Bourlamaque va rendre sur-le-champ au capitaine Vaucourt son épée !

— Jamais ! cria la Bourlamaque.

— J’ai parlé ! répliqua Flambard, menaçant.

— Soldats ! commanda l’officier.

— Arrêtez, Monsieur, par les deux cornes de Lucifer ! Ces soldats n’obéissent qu’à leur commandant ou à moi !

Mais les soldats et officiers qui avaient accompagné au fort M. de la Bourlamaque vinrent se ranger près de lui l’épée à la main.

— Grenadiers ! commanda alors le spadassin à ses deux gardes-du-corps.

— Nous sommes là ! répondit Regaudin.

— Gare, ventre-de-cochon ! vociféra Pertuluis en brandissant sa rapière, car nous perforerons toutes les tripes récalcitrantes !

Flambard remit sa rapière au fourreau et marcha à La Bourlamaque.

— Votre épée, Monsieur, au nom du Roi ! ordonna-t-il.

La Bourlamaque jeta un coup d’œil autour de lui et comprit que toute la garnison, en effet, n’obéirait qu’à cet homme ou au capitaine Vaucourt.

— C’est bien, répondit-il avec dédain, mais M. le gouverneur et M. de Lévis jugeront !

— Pardon, Monsieur ! rétorqua le spadassin. Il n’est qu’un homme qui puisse juger, et c’est le roi !

Et, prenant l’épée que lui tendait l’officier, notre héros alla la présenter à Vaucourt, disant :

— Capitaine, voici : vous êtes le maître comme avant !

Tous les soldats de la garnison acclamèrent Vaucourt et son ami par des cris délirants.

Mais déjà Jean Vaucourt s’approchait de M. de la Bourlamaque qui, pâle, demeurait bras croisés et immobile, et disait :

— Reprenez votre épée, Monsieur, tandis que je reprends mon commandement en attendant que l’énigme ait été tirée au clair.

Des sentinelles, tout à coup, placées sur les parapets se mirent à crier et à gesticuler.

— Une troupe… disaient-elles, une troupe venant du côté des Trois-Rivières !

Flambard et Vaucourt montèrent à la hâte sur l’un des parapets, pendant que les autres étaient envahis par la foule des soldats curieux. En effet, en bas des hauteurs et par dessus la cime des sapins, on pouvait apercevoir, traversant un vallon à un mille de là environ, une troupe de cavaliers. Mais derrière la troupe venaient quatre ou cinq traîneaux qui à leur tour étaient suivis par une autre troupe de cavaliers. On ne pouvait, à cette distance, reconnaître ces gens, mais on s’imaginait bien que ce n’étaient pas des ennemis. Tout à coup trois coups de clairon retentirent dans l’espace et ces coups de clairon étaient jetés par l’un des cavaliers de la troupe inconnue. Mais ce nom de suite circula :

— Le Gouverneur !

En effet, c’étaient bien les trois coups de clairon qui annonçaient l’arrivée du gouverneur chaque fois que celui-ci approchait d’une ville ou d’un fort. Aussitôt, Jean Vaucourt donna les ordres nécessaires, et en peu de temps toute la garnison était sous les armes et rangée en ordre de parade sur le chemin de ronde, de la porte de la palissade à la Place d’Armes. Puis, sur un nouveau commandement du capitaine, douze coups de canon furent tirés pour saluer le représentant du roi.

Une demi-heure après, le gouverneur, accompagné de M. de Lévis, de Bougainville et de plusieurs officiers supérieurs, entrait dans le fort avec sa suite que transportaient cinq traîneaux. Mais grande fut la surprise de nos amis Vaucourt et Flambard en voyant sauter hors du dernier traîneau Bigot et Mme Péan. Oui, Bigot apparaissait avec un sourire hautain à ses lèvres, sourire qui s’amplifia lorsque les regards de l’Intendant-royal se posèrent sur le spadassin. Mais s’il y avait là Bigot, on n’y voyait ni Varin, ni Cadet, ni Péan, ni Deschenaux. Puis, à son tour, l’escorte qui comptait cent cinquante cavaliers pénétra dans l’enceinte fortifiée.

M. de Vaudreuil, après avoir quitté son traîneau, demanda à Vaucourt qui s’approchait pour le saluer :

— Est-ce vous qui êtes le commandant, Monsieur ? Je croyais que c’était M. de la Bourlamaque !

Disons que ce dernier était là à quelques pas seulement et que M. de Vaudreuil l’avait aperçu ; aussi le gouverneur s’était-il étonné de voir s’avancer le capitaine au lieu de M. de la Bourlamaque.

Jean Vaucourt demeura un moment interloqué.