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LES TROIS GRENADIERS

comprends rien, répondit le capitaine d’une voix terriblement grondante.

— Mais on veut vous arrêter ? On exige de rendre votre épée ?…

— Nul ne l’aura, soyez-en sûre, tant qu’un souffle de vie animera mon bras !

Et il écarta doucement sa femme pour faire face à M. de la Bourlamaque et ses cavaliers.

Pendant ce temps Marguerite de Loisel avait rejoint le vicomte de Loys.

— Comment ! monsieur, s’était-elle écriée vous voulez donc vous tuer ? Vous, dehors par cette nuit de froidure et à demi vêtu seulement. Mais rentrez… rentrez au plus vite, pour l’amour du Ciel !

Laissez donc, Marguerite, je n’ai pas froid. Au surplus, notre ami Jean Vaucourt est menacé et je dois le défendre.

Il avisa à deux pas de lui un jeune officier de la garnison qu’il connaissait bien.

— Votre épée, monsieur, s’il-vous-plait ? demanda-t-il.

L’officier, sans penser plus long, prêta de suite son épée au jeune gentilhomme qui alla se placer à côté du capitaine Vaucourt.

— Monsieur, dit-il en même temps à la Bourlamaque, je comprends que vous avez un devoir à accomplir, mais j’ai aussi le mien : c’est donc une lame ou un homme de plus que vous aurez à briser !

La Bourlamaque secoua la tête avec amertume et s’approcha d’Héloïse qui pleurait et qui, presque anéantie de douleur, était soutenue par Marguerite.

— Madame, dit l’officier, voulez-vous m’aider à remplir le pénible devoir qui m’incombe. Croyez qu’il s’agit de l’honneur de votre mari. Je ne doute pas qu’il soit innocent, et j’aurai plaisir à entendre cette innocence proclamée ; mais je tiens un ordre de mes supérieurs. Comme votre mari j’ai également mon honneur de soldat à sauvegarder, et je devrai obéir à l’ordre qui m’a été donné quoi qu’il m’en coûte. Voyons, madame, aidez-moi ! Qu’on ne me force pas à donner à mes soldats un ordre qui me répugne !

La jeune femme sourit à travers ses larmes et elle s’approcha de son mari.

— Mon cher Jean, rendez-vous ! Il ne peut y avoir là qu’une méprise qui bientôt sera reconnue. Je connais Monsieur de la Bourlamaque et vous le connaissez aussi bien que moi, c’est un gentilhomme qui ne saurait manquer à son devoir. Ne lui imposez donc pas une tâche plus pénible que celle qu’il a mission de remplir en ce moment.

Jean Vaucourt sourit à son tour, et présenta son épée à l’officier supérieur en disant :

— Je vous la remets, Monsieur, parce que je sais avoir affaire à un gentilhomme. Mais si vous étiez l’un de ces coquins qui, je n’en doute pas, sont les auteurs de cette affreuse comédie, je vous la passerais dans le ventre, quitte à tomber ensuite sous les coups de vos soldats !

Et sans plus, fier et tout bouillant, il prit le bras de sa femme et regagna son habitation.

— Et vous, monsieur le vicomte, que faites-vous ? interrogea Marguerite.

De Loys se mit à rire.

— Au fait, je rends aussi mon épée… mais je la rends à celui à qui elle appartient.

Aimablement il remit l’arme à l’officier qui la lui avait prêtée, et au bras de Marguerite de Loisel il s’en alla.

L’incident était clos, les soldats de la garnison se hâtèrent de courir sous leurs huttes et près de leur feu, et le calme se trouva bientôt rétabli. La Bourlamaque, avant de se retirer pour la nuit, donna des ordres brefs à ses cavaliers et leur confia son cheval. Les chevaux furent immédiatement conduits aux étables et reçurent, chacun, litière et portion, puis les hommes qui les montaient purent trouver un abri dans les cuisines.

Bourlamaque, ayant vu au confort de ses hommes et de leurs bêtes, se dirigea vers l’habitation de l’aumônier qu’il connaissait pour lui demander l’hospitalité pour le reste de la nuit. Il était suivi par ses trois officiers. Les quatre personnages suivaient précisément ce chemin sur lequel se trouvait la case en laquelle Mlle Deladier avait trouvé le vicomte de Loys prisonnier. Au moment où ils passaient devant la case leur attention fut attirée par des gémissements. Ils s’arrêtèrent surpris, et virent la porte de la geôle légèrement entrebâillée. Curieux et intrigués à la fois les quatre officiers pénétrèrent dans la hutte où, à leur plus grande surprise, ils reconnurent Mlle Deladier assise sur son grabat et chaînes aux mains.

— Oh ! oh ! s’écria la Bourlamaque, que faites-vous ici, ma belle ?