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LES TROIS GRENADIERS

— Oh ! ils ont une clef des cadenas, de même que mon mari en a une.

Un rapide éclair illumina les prunelles de Mlle Deladier.

— Pauvre homme ! fit-elle encore, je ne peux m’empêcher de le plaindre… surtout quand je pense qu’on va le passer en conseil de guerre. Son compte est fait.

— Oh ! pour ça c’est clair. D’ailleurs, il a fait assez de mauvais coups pour mériter tout ce qui lui arrive.

Le silence s’établit. La femme d’Aubray termina les apprêts du souper et invita la jeune fille à en faire les honneurs, tandis qu’elle retournerait à son logis pour préparer le repas des siens.

Il était environ cinq heures et dehors la nuit était tout à fait venue. Au moment où la paysanne ouvrait la porte pour se retirer, Mlle Deladier la retint un moment.

— Savez-vous, ma brave amie, que je serais curieuse de voir le cachot du prisonnier ? Vous avez dit que vous n’irez pas seule lui porter sa pitance, me voulez-vous pour compagne ?

— Mais oui, si ça vous fait plaisir ! répondit l’autre avec un sourire assez bizarre que ne parut pas saisir la jeune fille.

— À quelle heure y allez-vous ?

— D’habitude mon mari lui porte sa ration à sept heures. J’irai à la même heure.

— Soit, je vous accompagnerai. Si vous voulez que je porte quelque chose ?

— Certainement, je vous confierai la lanterne et le café d’orge.

— C’est bien, je me rendrai chez vous après mon repas.

La paysanne se retira laissant Mlle Deladier toute rayonnante de triomphe.

Et, tel que convenu, un peu avant sept heures la jeune fille se rendait à la maison d’Aubray où la femme lui donnait la lanterne et le pot au café d’orge, et toutes deux gagnaient la prison de Foissan. La nuit était claire et toujours froide. Tout était paisible dans la place et les rues désertes, hormis le chemin de ronde où les sentinelles allaient et venaient, silencieuses. On sentait que tout le monde était content, par cette froidure, de se trouver près de son feu.

Quand les deux femmes atteignirent la case de Foissan, un gardien en sortait.

— Tiens ! dit-il, vous arrivez bien, je viens justement de faire du feu.

— Eh bien ! ne refermez pas la porte, dit la femme du milicien, je vais donner le souper au prisonnier et rapporter la gamelle et le pot à café d’à matin.

Le gardien poussa la porte et entra.

— Venez, dit-il à la paysanne.

Celle-ci prit le café d’orge des mains de Mlle Deladier et pénétra dans l’intérieur de la case, laissant la jeune fille à la porte.

On comprend le désappointement de Mlle Deladier, elle qui avait en elle-même tant souhaité de voir Foissan et de pouvoir échanger avec lui un signe d’intelligence. Elle aurait tellement voulu savoir aussi ce qu’était devenu son message. Car ce message l’inquiétait depuis qu’elle savait Foissan enchaîné au mur de la hutte. En effet, bien quelle fût demeurée dehors, elle put par la porte ouverte apercevoir au fond de la cabane un grabat sur lequel était étendue une forme humaine dont elle ne put voir nettement les traits, et entendre le bruit lugubre des chaînes entre choquées. Mais elle n’en put voir ni entendre davantage, car déjà la femme d’Aubray revenait avec la gamelle et le pot au café qui avaient été apportés au prisonnier le matin de ce jour. Puis le gardien refermait la porte et la cadenassait.

La paysanne reprit le chemin de son domicile.

— Laissez-moi porter le pot au café ! dit la jeune fille.

— Comme vous voudrez, Mademoiselle.

Puis, en silence, les deux femmes traversèrent le fort.

Comme elles arrivaient à la maison du milicien, la paysanne s’arrêta tout à coup pour fouiller les poches de son manteau.

— Quoi ! j’ai donc perdu la clef ? fit-elle comme se parlant à elle-même.

— Quelle clef ? demanda avec surprise la jeune fille.

— La clef du cadenas de Foissan.

— Vraiment ?

— C’est à croire, puisque je ne la retrouve plus dans les poches de mon manteau.

— Mais où l’auriez-vous perdue ?

— Probablement devant la case du prisonnier. Vous savez que je ne m’en suis pas servi, puisqu’un des gardiens était là. Voulant la remettre dans ma poche, je l’aurai glissée à côté. Allons voir, voulez-vous ?

— C’est bien, consentit Mlle Deladier qui tenait toujours la lanterne.

Vivement elles refirent le chemin qu’elles avaient parcouru et furent bientôt devant