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LES TROIS GRENADIERS

— Qui donc ?

— Voyez !

Flambart se leva et alla pousser la porte.

Mme Péan frémit en voyant postés de chaque côté de la porte, la rapière toute nue à la main et un sourire narquois aux lèvres, les deux grenadiers, Pertuluis et Regaudin.

Le spadassin sourit candidement, referma la porte et se rassit.

— Donc, madame, reprit-il, cela veut dire que je suis ici présentement chez moi, en ce sens que je me permettrai d’y demeurer bien tranquille aussi longtemps qu’il me plaira.

Mme Péan se mit à pleurer, non de chagrin, mais de rage impuissante. Encore une fois elle était au pouvoir de cet homme terrible qu’était le grenadier Flambard, cet ennemi tenace, irréductible, dont elle devinait la puissance. Oui, comme elle le pensait, cet homme finirait par écraser un jour tous ceux qui s’étaient heurtés à lui. Et elle sentait, l’effroi l’envahir. Deux autres ennemis gardaient, sa porte… Ah ! ça, il n’y avait donc plus ni maître, ni serviteurs, ni garde dans la maison ? Mais la jeune femme possédait de la volonté et de l’énergie, et elle résolut de suite d’affronter bravement le danger qui se présentait. Elle sécha ses larmes et demanda :

— Monsieur, que voulez-vous de moi ?

— Peu de chose, Madame : un acte de bonne volonté seulement,

— Vous ne venez donc pas exercer quelque terrible vengeance ?

— Quelle vengeance aurais-je à exercer contre vous, Madame, vous qui ne m’avez fait aucun mal ?

— Mais alors, Monsieur ?…

— Je vous le répète, c’est un acte de bonne volonté que j’attends de votre part.

— Parlez !

— Ce que je viens vous demander, Madame, c’est votre déposition devant le conseil militaire qui va bientôt juger un misérable traître.

— Vous voulez parler de Foissan ?

— Oui.

— Mais à quoi bon ma déposition contre cet homme que je connais à peine ?

— Ce qui veut dire que vous le connaissez un peu ? C’est tout ce qu’il faut, Madame.

— Mais ce n’est pas une raison pour que j’aille déposer contre cet homme ? Je m’y objecte !

— Vous avez tort, Madame. Quelle répugnance pouvez-vous avoir à déposer contre un individu que vous connaissez à peine ? Si encore c’était un parent, un ami, un amant…

— Monsieur…

— Pardon, Madame, je parle toujours un peu à tort et à travers. Donc, cet homme, cet individu de bas étage est si peu de chose que vous ne pouvez avoir à son égard quelque sympathie.

— Cet homme n’est en effet rien pour moi. Si je le connais un peu, c’est par pur hasard, car il a été en relations d’affaires avec mon mari.

— Oui, je sais. Aussi bien, je compte sur la déposition de votre mari. Mais je compte également sur la vôtre.

— Monsieur, je ne peux pas.

— Je le regrette, Madame, mais moi je veux et je peux de par l’autorité du représentant du roi en Nouvelle-France. Si donc, vous ne voulez pas venir témoigner de bon gré, je devrai user de la force.

— Oh ! Monsieur Flambard, pleurnicha la jeune femme, vous êtes donc sans pitié !

— Madame, quand il se trouve un devoir à remplir, mon devoir avant la pitié. Eh bien ! que décidez-vous ?

— Vous me promettez qu’il ne me sera fait aucune violence ?

— Je vous le jure.

— Bien. À quand le conseil ?

— Le 25, dans la nuit, après la messe de minuit qui sera célébrée dans la chapelle du Fort.

— Ah ! c’est au Fort qu’aura lieu…

— Oui, Madame.

— C’est bien, j’y serai.

— Merci, Madame, c’est tout ce que je désirais. Je vous prie donc d’oublier mon importunité.

Le spadassin se leva, exécuta une grave révérence, sortit et referma la porte.

Le silence régnait partout.

Mme Péan demeura un bon moment agitée et pensive.

Puis, soudain, elle se leva et courut à la porte par laquelle le spadassin était sorti : cette porte refusa de s’ouvrir.

Elle se mit à trembler. Fébrilement et curieusement, et tous avaient paru réjouis d’une course mal sûre, elle alla à la porte de sa chambre à coucher ; cette porte se trou-