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LES TROIS GRENADIERS

— Je suis le fils du baron de la Trémaille, grand veneur de Sa Majesté le roi.

— Oh ! oh ! s’écria Pertuluis… de la vraie noblesse !

— Eh ! Eh ! fit Regaudin en regardant le jeune garde sous le nez, ne reconnais-je pas ce jeune monsieur qui, au cabaret de la mère Rodioux, m’a quasi troué l’épaule de sa rapière, tandis que je décochais un sourire gracieux à mademoiselle La Pluchette ? Mon ami, je t’en ai voulu de cette écorchure, te prenant pour un gredin de quelque basse roture. Mais du moment que tu dis être fils d’un certain baron de la Trémaille, grand veneur du roi, je m’honore de notre rencontre parce que, comme j’ai l’honneur de te l’apprendre céans, tu as croisé le fer avec le sieur de Regaudin, écuyer de son excellence Monsieur le Chevalier de Pertuluis ici présent et présentement te pendant par les pieds, jusqu’à ce que… Faut-il tirer encore, Monsieur Flambard ?

— Attendez, dit le spadassin. Ainsi donc, mon garçon, tu as quitté ton noble père, grand veneur de Sa Majesté, pour venir mettre ta jeune épée au service d’un grand voleur de Sa Majesté, Monsieur Bigot ?

— Monsieur Bigot me paye bien et je n’ai rien à dire.

— Parbleu ! j’aurais moins bonne opinion de toi de t’entendre le médire. Mais pour le moment il ne s’agit point de médire, mais seulement de nous dire de quelle mission était ou est chargé le sieur Fossini !

— Je ne sais pas, répondit le garde.

— Hissez, mes amis ! commanda Flambard.

Les deux grenadiers se suspendirent au câble, et le garde monta vers la poutrelle, les pieds en l’air, la tête en bas ; et cette fois Flambard l’avait lâché.

Le pauvre diable jeta un cri terrible.

Le spadassin fit un signe aux deux bravi qui laissèrent glisser le câble et son poids, jusqu’à ce que le garde fût revenu au plancher sur lequel il demeura appuyé des mains, mais jambes et pieds en l’air toujours.

— Voyons la mission dont est chargé Foissan ! dit rudement Flambard cette fois. Hâte-foi, nous sommes pressés !

— De livrer des marchandises aux Anglais.

— Ou mieux à un anglais, le capitaine Chester !

— Je crois que c’est le nom.

— Et où sont ces marchandises ?

Le jeune homme hésita.

— Hissez ! commanda Flambard aux grenadiers.

Attendez ! cria le garde.

— Eh bien ? interrogea sévèrement le spadassin.

— Ces marchandises sont à Batiscan, dans un endroit secret.

— Peux-tu nous indiquer cet endroit ?

— À un mille environ en de-ça du village et au fond d’un ravin où une cache a été pratiquée. Et il donna quelques détails plus précis.

— Bon ! dit Flambard, avec cela je pourrai trouver l’endroit. Mais tu ne m’as pas dit quelles sont les marchandises qui se trouvent dans cette cache ?

— Je n’en sais rien.

— Tu es certain de n’en rien savoir !

— Sur ma vie !

— Encore une question : peux-tu me dire si Madame Péan est toujours aux Trois-Rivières ?

— Oui, monsieur, elle est aux Trois-Rivières.

— Bien, bien.

Se tournant vers les grenadiers, Flambard ajouta :

— Mes amis, je dois avouer que ce jeune gentilhomme nous a pour le moment suffisamment renseignés ; remettez-le en liberté. Si, plus tard, nous jugeons l’utilité d’obtenir d’autres renseignements, nous reprendrons la séance.

Le jeune homme fut détaché du câble, remis sur pieds, et Flambard lui dit sur un ton menaçant :

— Je te défends de dire à tes compagnons ce qui s’est passé ici. Si l’on t’interroge, tu répondras ce que tu voudras, hormis ce que tu as vu et ce que tu nous as dit. Est-ce compris ? Car, vois-tu, si tu es bien sage ainsi que tes camarades, il ne t’arrivera rien de désagréable, et avant longtemps tu pourras rejoindre Monsieur l’intendant. Suis-moi encore !

Le spadassin reconduisit le garde à sa prison et revint à la case des deux grenadiers, disant :

— Mes amis, nous partons pour Batiscan. Faites atteler huit traîneaux et commandez deux compagnies de cavaliers comme es-