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LES TROIS GRENADIERS

cultes menées. Et puis jeunes, insoucieux, aimant la vie facile et les plaisirs, peut-être avaient-ils préféré de se mettre aux gages de Bigot pour mieux donner raison à cet adage trompeur « il faut que jeunesse se passe ». En tout cas, comme le pensa Flambard, si ces trois jeunes hommes, dans les milieux ou ils vivaient, n’étaient pas devenus coquins, ils couraient fort le risque de le devenir avant longtemps.

Le spadassin avisa l’un d’eux et lui dit :

— Mon ami, si tu veux me suivre hors de cette hutte, il pourra peut-être en résulter pour toi et tes amis quelque bien inespéré. Viens !

Le jeune homme parut hésiter à se rendre à cette invitation.

Flambant sourit placidement.

— Ne crains pas pour ta vie, attendu que tu en es le maître suprême, du moins pour le présent. Je te jure que ce n’est pas moi qui te l’ôterai. Suis-moi donc !

Et le spadassin marcha vers la porte. Le garde comprit sans doute qu’il n’était pas libre de faire à sa volonté, et il suivit celui qu’il sentait maintenant comme son maître. Flambard conduisit le jeune homme à la case de Pertuluis et Regaudin.

Mais le garde, à la vue des deux grenadiers et surtout après avoir surpris la besogne qu’ils étaient en train de faire, se troubla, pâlit, recula et voulut prendre la fuite. Mais le spadassin le poussa rudement vers les deux grabats, disant sur un ton autoritaire :

— Assis-toi là, mon ami, et sois sage, si tu veux !

Le garde obéit en tremblant et se mit à considérer les deux grenadiers avec épouvante.

Mais que faisaient donc Pertuluis et Regaudin ? Ceci : debout sur un escabeau, Pertuluis attachait à une solive un câble auquel Regaudin s’agrippait ensuite des mains pour en essayer la solidité. Et tout en ce faisant les deux bravi fredonnaient un refrain joyeux que, par-ci par-là, ils coupaient de commentaires.

— Bon pourvu que la poutre ne casse pas ! faisait Pertuluis.

— Baste ! répliquait Regaudin, on y pourrait attacher un cochon plus gros que le sieur Cadet, qu’elle ne fléchirait pas même. Attache, Pertuluis, biche-de-bois.

— Au fait ! reprenait Pertuluis en glissant un œil narquois vers le garde, hagard et pétrifié, le jeune goret ne me paraît pas bien lourd, ventre-de-roi !

— Achevez-vous votre besogne. ? interrogea Flambard qui, le dos appuyé contre la porte, demeurait sévère et grave comme un maître de cérémonies funéraires.

— C’est fait ! répondit Pertuluis en sautant de l’escabeau sur le plancher.

— Et voilà ! fit Regaudin en achevant un nœud coulant, il n’y a plus qu’à lui passer les pattes là-dedans !

— Bien, dit simplement Flambard.

Il quitta la porte et marcha jusqu’au garde.

— Mon garçon, reprit-il candidement, tu vas enlever ton manteau ; je crains qu’il ne t’incommode au cours du petit voyage que tu vas entreprendre.

Et il débarrassa prestement le garde de son manteau. Le pauvre diable était trop pétrifié par l’horreur pour essayer de la moindre résistance. Le spadassin l’enleva dans ses bras et le porta au centre de la pièce, les pieds devant, sous la solive à laquelle pendait le câble. Sur un signe de Flambard, Pertuluis et Regaudin passèrent les pieds du garde dans le nœud coulant, puis se mirent à serrer jusqu’à ce que le garde eut fait entendre un gémissement.

— Bien, dit le spadassin, cela suffit. Maintenant, hissez !

Les deux grenadiers saisirent l’autre extrémité du câble, lequel glissait sur une poutrelle qui, fixée au-dessus de la solive, reliait les deux pans de la toiture, et se mirent à tirer lentement. Le nœud coulant qui enserrait les pieds du garde se mit à monter, de sorte que le prisonnier se trouvait pendu par les pieds. Mais jusque-là Flambard le maintenant par le buste. Le garde comprenant trop bien le genre de mort qui lui était réservé, cria avec épouvante :

— Arrêtez ! Arrêtez !

— C’est bien, dit Flambard aux deux compères narquois, ne tirez plus puisque notre jeune ami l’a commandé.

Puis il demanda au garde devenu livide :

— Ainsi donc tu ne refuseras pas de nous dire ce que nous voulons savoir ?

— Que voulez-vous savoir ?

— Ton nom, d’abord.

— Louis de la Trémaille.

— Ah ! ah ! monsieur est gentilhomme ? dit Flambard.