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LES TROIS GRENADIERS

taverne se mit à applaudir bruyamment ce nouvel exploit de notre héros.

Celui-ci, toujours narquois et calme, sourit à La Pluchette et à la mère Rodioux, puis désigna aux soldats les trois gardes en commandant :

— Prenez ces hommes, mes amis, ils sont nos prisonniers !

Devant les rapières menaçantes des gardes, les soldats hésitèrent. Le spadassin retira sa lame du fourreau et marcha contre les gardes.

Faut-il vous désarmer en douceur ou par la force ? demanda-t-il, ironique.

Les gardes comprirent que c’était folie pure de tenter une résistance devant le fer de ce magicien qu’était Flambard, et d’un commun accord ils jetèrent leurs armes par terre.

— Ramassez ! dit le spadassin aux soldats.

Ceux-ci relevèrent les épées des gardes tandis que trois autres soldats, sur l’ordre de Flambard, liaient les mains des prisonniers. Et déjà Pertuluis et Regaudin avaient solidement lié celles de Foissan qui reprenait connaissance peu à peu.

— Et à présent, mère Rodioux et vous, Mademoiselle Rose, dit notre ami en marchant vers le comptoir, servez une tournée générale à la santé du roi et de la Nouvelle-France !

La patronne et la servante se mirent à l’œuvre avec ardeur. Des soldats, pendant ce temps, démolissaient une table et de ses planches fabriquaient à la hâte une porte que tant bien que mal ils ajustaient ensuite dans le cadre vide. D’autres, à cause du froid qui avait envahi la baraque, entassaient dans l’âtre des bûches de sapins. Puis bientôt l’eau-de-vie et le vin étaient servis à la ronde, et tout le monde buvait en faisant l’éloge de Flambard.

Celui-ci avait appelé au comptoir Pertuluis et Regaudin qui, tout en vidant chacun un carafon, écoutaient certaines instructions que leur donnait à voix basse le spadassin. Après la première tournée, ce dernier en paya une deuxième, puis il alla à Foissan qui, s’étant relevé, avait rejoint ses trois compagnons,

— À présent, monsieur Fossini, il s’agit de me remettre certain papier que vous portez et qui n’est autre qu’une commande de marchandises pour être livrées aux Anglais. Allons, montrez !

— Je n’ai pas ce que vous dites ! gronda Foissan comme une bête mal apaisée.

— C’est ce que nous allons voir. Allons ! grenadiers, fouillez-lui les tripes ! commanda-t-il aussitôt à Pertuluis et Regaudin.

Ceux-ci en un tour de main eurent fait le tour des poches du prisonnier, et Regaudin en tira un papier qu’il donna à Flambard.

— Non ! répondit le spadassin, après avoir déplié le papier, ce n’est pas ça. Fouillez encore !

Les deux grenadiers obéirent. Mais cette fois Foissan tenta de mordre les mains qui s’introduisaient dans les poches de son vêtement.

— Tiens-lui la tête, Regaudin, dit Pertuluis, tandis que je vais chercher ; car je me méfie des morsures de porc !

Regaudin fit comme on lui disait, et la minute d’après Pertuluis trouvait un autre papier.

— Tenez, Monsieur Flambard, dit-il, ceci doit être la bonne paparasse ! Seulement, méfiez-vous, car ça pourrait bien être un message du diable !

Flambard sourit. Puis, ayant déplié ce nouveau papier, proféra avec satisfaction :

— C’est bien cela.

Les soldats assistaient à cette scène, silencieux. Mais l’un d’eux demanda :

— Est-ce que ce papier est encore un message pour nous livrer aux Anglais ?

— C’est tout comme, mes amis. C’est une liste de mangeaille qu’on allait livrer aux Anglais, tandis que nous crevons de faim dans le fort.

— Et qu’est-ce que vous allez faire de cette canaille-là ? demanda un autre soldat.

— Nous allons en faire quelque chose qui ne le réjouira certainement pas. Mais avant tout, ajouta le spadassin, nous allons le passer en conseil de guerre, et peut-être lui trouverons-nous autre chose dans le ventre. En attendant, nous allons conduire les quatre prisonniers au fort. Allons mes amis, deux hommes par prisonniers et marche !

— Au fort ! Au fort ! crièrent les soldats, chacun voulant se charger des prisonniers.

— Et j’ajoute, reprit Flambard, que, s’ils avaient quelque envie de prendre à gauche ou à droite à travers les magnifiques sapins