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LES CACHOTS D’HALDIMAND

— Il faut rester, en ce cas.

— Impossible. Nous ne sommes plus dans une situation bien florissante, et mon père veut aller se remettre dans les affaires à Londres.

— Je te plains bien, si tu quittes le Canada avec regrets, je sais moi-même ce que c’est que de vivre loin du pays qu’on aime. Si tu savais seulement combien je me suis ennuyée là-bas de mon beau Canada ! Souvent j’ai pleuré.

— Et pourtant, Louise, tu avais autour de toi des êtres chéris : un mari qui t’aime follement, des enfants beaux comme le soleil !

— C’est vrai. Sans eux je ne sais ce que je serais devenue. Et avec l’ennui j’avais sur le cœur deux deuils atroces : mon cher frère assassiné par je ne sais quel barbare, et mon père que tuait peu à peu la captivité !

— Oh ! s’écria Margaret, nous avons traversé des temps affreux, c’est aujourd’hui que j’en constate toute l’horreur ! Aussi, suis-je venue en même temps me décharger d’un remords que je ne peux emporter avec moi ! Oui, Louise, tu as bien deviné que j’ai un terrible secret à te dévoiler.

— Ô mon Dieu ! que viens-tu m’apprendre ? demanda Louise en pâlissant.

— Je veux te dire qui a été le meurtrier de ton frère !

— Tu le connais ?

— Je le connaissais…

— Oh ! parle, Margaret, parle vite ! s’écria Louise avec agitation. S’il n’est pas trop tard pour que cet homme soit châtié, il le sera justement ! Parle !

— Celui qui a tué ton frère, Pierre Darmontel, c’est mon cousin, Daniel Foxham !

— Foxham !… murmura Louise sans trop d’étonnement. Et elle ajouta : Je l’avais un peu soupçonné de ce meurtre !

— Seulement, ma chère Louise, Foxham n’avait pas prémédité cet assassinat, en ce sens qu’il ne voulait nullement tuer ton frère qu’il ne connaissait pas ! Il avait pensé qu’il tuait monsieur Saint-Vallier !

— Foxham !… murmura encore Louise qui demeura sombre et pensive.

— Hélas ! ma chère amie, tu ne saurais t’imaginer toute l’horreur que j’ai éprouvée quand j’ai connu les crimes de cet homme. Et c’était mon cousin et je l’avais aimé !

— Pauvre enfant ! soupira Louise qui vit des larmes dans les yeux de Margaret.

— Aussi, suis-je venue pour essayer d’empêcher un autre meurtre non moins abominable !

— Un autre meurtre ! s’écria Louise… Ah ! mais cette fois tu m’épouvantes, Margaret.

Elle eut le rapide pressentiment qu’on en voulait encore à Saint-Vallier. Puis, elle ajouta :

— Mais je pensais Foxham parti !

— Il est en Angleterre, en effet, et il y est allé avec le dessein de faire disparaître Du Calvet !

— Ah ! il en veut encore à Du Calvet !

— Il a pour ce gentilhomme français une haine que je ne peux m’expliquer.

Les deux amies s’entretinrent longtemps, puis Miss Margaret se retira lorsque Saint-Vallier entra, après avoir été absent tout le jour.

Après le départ de Margaret Toller, Louise mit son mari au courant des choses terribles que lui avait apprises la jeune anglaise.

Saint-Vallier frémit de colère.

— Oh ! grinça-t-il, pourquoi n’ai-je pas envoyé en enfer ce Foxham maudit ! N’importe ! je vais écrire à l’instant à Du Calvet pour le mettre sur ses gardes. Je vais également écrire à Saint-Martin afin qu’il fasse dépister ce bandit !

Et Saint-Vallier pénétra dans son étude pour écrire ces lettres.


IV

LETTRE DE DU CALVET


Au commencement de juillet Saint-Vallier reçut de Londres l’épître suivante signée de Pierre Du Calvet.

« Mon cher ami, vingt fois j’ai songé à vous écrire, et chaque fois j’ai été retenu de le faire par la crainte que ma lettre ne vous parvînt. Mais soyez assuré que ma pensée ne vous a pas quittés vous et votre excellente épouse. Et cette pensée ne peut se dérober au souvenir de toute la reconnaissance que j’ai accumulée pour vous, et je regrette de ne pouvoir vous exprimer cette reconnaissance que par des mots qui ne vous parviendront peut-être pas.

« Si, aujourd’hui, brisé par les luttes incessantes, je m’éteins peu à peu et j’entrevois le jour où, à mon tour, il me faudra disparaître sans avoir pu accomplir bien des devoirs encore qui m’incombent, je me console en songeant à mon fils à qui je léguerai ces devoirs en plus de la formidable tâche inachevée que vous savez et à laquelle vous avez si généreusement et si héroïquement participé. Cette suprême consolation qui me reste, je vous la dois, mon ami, je vous la dois à vous seul qui avez sauvé mon fils !