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LES CACHOTS D’HALDIMAND

haine de Foxham contre Saint-Vallier, mais elle n’avait pas manqué de surprendre ses attentions auprès de Louise Darmontel. Elle en avait déduit que son cousin haïssait Saint-Vallier parce qu’il en était jaloux. Et comme elle n’était pas jalouse pour un sou, elle avait hoché la tête avec dédain. Elle savait encore que Foxham n’aimait pas le moindrement les habitants de langue française en Canada ; mais elle était loin de supposer que sa haine de la race en eût fait un assassin vulgaire. Certes, elle ne s’émouvait pas outre mesure à l’idée qu’un individu pût faire disparaître un ennemi dangereux, du moment que cet ennemi était une menace positive. Mais voilà qu’on venait de décréter la mort de Du Calvet. Or, selon elle Du Calvet ne menaçait l’existence de personne. Non pas qu’elle sympathisât avec ce Du Calvet ou avec la race française du pays, car, imbue des idées anglo-saxonnes du temps, elle était plutôt portée à mépriser cette race qu’à la haïr. Qu’était-ce que cette race de paysans ignorants, comparée à celle dont elle était issue ?… Toutefois, parmi cette race elle n’avait pu s’empêcher d’admirer certaines personnalités, elle avait grandement estimé la famille Darmontel, elle avait aimé Louise dont elle ne cessait de déplorer le malheur et l’éloignement. Mais comme elle était de nature plutôt passive et paisible, aimant la vie telle qu’on la lui avait faite jusqu’à cette heure, et croyant qu’il était dû à tout le monde d’aimer et de jouir de cette même vie, la trame ourdie contre l’existence de Du Calvet l’impressionnait terriblement.

À quoi bon faire mourir cet homme ? N’avait-il pas assez souffert déjà ?…

Elle aurait voulu s’opposer à ce projet qui lui répugnait souverainement, mais elle ne s’en sentait pas la force. Elle se contenta donc de déplorer la perfidie de Foxham et la mollesse de son père qui se laissait entraîner en de tels complots.

Tout en réfléchissant, Margaret s’était laissé choir sur un canapé où elle finit par s’assoupir.

Une voix la réveilla en sursaut.

— Eh ! charmante cousine, ne seriez-vous pas mieux dans votre lit moelleux que sur ce canapé ?

C’était Foxham.

— C’est vrai, répondit avec un sourire contraint la jeune fille. J’attendais que mon père en eût fini de son entretien avec vous et le colonel.

— Soyez tranquille, cousine, nous en avons fini. Votre père achève de conclure une petite affaire personnelle avec le colonel, puis nous partirons… et nous ne serons plus ces barbares qui empêchent une jeune fille aimable et jolie d’aller se reposer dans son nid de fauvette !

Foxham parlait avec enjouement, tout comme s’il eût eu l’esprit tranquille et la conscience nette.

Margaret le regarda profondément et lui dit tout à coup, sans saisir au juste la portée de ses paroles :

— Vous n’avez pas peur, Daniel ?

Foxham parut d’abord surpris. Puis il se mit à rire.

— Peur ! dit-il, pourquoi ? Est-ce vous qui voulez me faire peur ?

— Peut-être ! sourit Margaret avec mélancolie.

— Comment, belle cousine ?

— En vous faisant, enfermer dans un cachot… dans un cachot, par exemple, comme ceux de votre caserne !

Foxham partit de rire aux éclats.

— Cousine, vous êtes folle, je pense ! Pourquoi m’enfermer dans un cachot ?

Margaret se leva, regarda Foxham en plein dans les yeux et répliqua lentement et froidement :

— Pour vous empêcher de commettre une vilaine action !

Foxham fit un pas de recul et regarda avec effroi la jeune fille.

Elle ajouta gravement :.

— Prenez garde, cousin… Rappelez-vous cette parole de l’Écriture ; « Qui frappe de l’épée, périra de l’épée ! »

Elle s’éloigna, laissant Foxham médusé… presque terrifié…


III

LE RETOUR DES ÉMIGRÉS


Après le départ d’Haldimand, qui était retourné en Angleterre, Saint-Vallier revint à Québec avec sa femme et ses deux enfants, Jean-Pierre et Marguerite. Un grand nombre de Canadiens émigrés durant l’administration d’Haldimand étaient également rentrés dans leur pays.

On était au mois de juin 1785.

M. Darmontel était mort peu après sa sortie de prison. Louise était arrivée trop tard pour assister à ses derniers moments. Elle s’occupa de la sépulture de son père, et quelque temps après, de celle de Pierre Darmontel dont on avait retiré le cadavre hors de la citerne des Jésuites. Une lettre anonyme était parvenue à Louise pour lui dire comment son frère avait été assassiné. La lettre