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— Que me voulez-vous, monsieur ?

— Mademoiselle, répondit Foxham avec un sourire hypocrite, je vous prie de me pardonner le dérangement que je vous cause. J’ai reçu ordre de me faire remettre la personne de monsieur Saint-Vallier.

— Monsieur Saint-Vallier ! fit Louise avec le plus grand sang-froid. Il n’est pas en cette maison… il est mort ! Ne le saviez-vous pas ?

Elle esquissa un sourire ironique que saisit parfaitement le lieutenant anglais.

— Mademoiselle, répliqua Foxham, ne cherchez pas à m’induire en erreur, ce serait temps perdu. Je sais que Saint-Vallier est vivant et qu’il est en cette maison en laquelle il s’est réfugié, après avoir été blessé dans une bagarre la nuit dernière ou la nuit d’avant. Et si vous ne me croyez pas, je veux bien vous indiquer la chambre où il repose en ce moment.

Louise se troubla malgré tous ses efforts pour demeurer calme et froide.

Foxham sourit longuement.

— Mademoiselle, ajouta-t-il, je ne me pardonnerais jamais d’user de la moindre violence avec vous. Néanmoins, je dois vous prévenir que j’ai là, dans le vestibule, quatre soldats de mon bataillon qui, sur un signe de moi…

— Monsieur, s’écria Louise avec indignation, si vous êtes un gentilhomme, vous ne permettrez pas à ces soldats de pénétrer ici.

— Mademoiselle, ils n’entreront que sur un signe de moi, je vous l’ai dit.

— Mais vous ne ferez pas ce signe !

— Si vous me laissez exécuter mes ordres, je ne le ferai certainement pas. J’emmènerai monsieur Saint-Vallier hors de cette maison où mes soldats s’en empareront seulement.

— Je vous ai dit que monsieur Saint-Vallier n’est pas en cette maison !

— Voulez-vous me laisser vous guider à l’appartement qu’il occupe ?

— Mon Dieu… oui, puisque vous persistez autant !

Louise croyait que Foxham cherchait uniquement à l’intimider pour la faire parler, et qu’il n’oserait pas faire des recherches par la maison. Foxham, bien qu’il fût certain que Saint-Vallier était là, pour avoir fait espionner la maison et les gens qui l’occupaient, parut revenir de sa certitude à cette tranquille réponse de la jeune fille. Il pensa que son espionnage avait été surpris et que Saint-Vallier avait été transféré en lieu sûr. Toutefois, il ne voulut pas paraître battu, il demanda avec un sourire contraint :

— Me permettez-vous de prendre les devants ?

— Certainement, monsieur, répondit Louise avec calme, espérant que Foxham allait se raviser, ou que, s’il conduisait Louise vers une pièce quelconque, ce ne serait pas celle qu’occupait Saint-Vallier. Foxham en serait donc pour sa propre confusion.

— Foxham sourit encore et dit :

— Veuillez donc me suivre tout en me pardonnant cette manière peu courtoise d’agir ; mais vous comprendrez que je suis forcé d’obéir aux ordres de mes supérieurs.

Il traversa le petit salon, franchit la porte par laquelle Louise était entrée, traversa un passage qu’une porte vitrée séparait du vestibule, suivit ce passage, passa devant la porte ouverte d’une bibliothèque, tourna sur un couloir à gauche et s’arrêta devant une porte en disant :

— Ici, mademoiselle, je vous prie d’entrer la première.

Louise était très pâle. Elle avait vu Foxham aller aussi sûrement que s’il se fût trouvé chez lui. Et cette porte devant laquelle le lieutenant venait de s’arrêter était la porte de son boudoir. Elle essaya encore, avec un grand calme apparent, de faire retraiter Foxham.

Cette porte, dit-elle, est celle de mon boudoir.

— Je le sais, mademoiselle, répondit froidement Foxham.

— Vous le saviez ?… Louise ne put cacher sa surprise.

Foxham sourit et répliqua :

— Ne m’avez-vous pas fait un jour la description de cette demeure que votre père était en train de faire construire, il y a à peine un an ?

En effet, la jeune fille se rappela cet incident. Elle se le reprocha amèrement. Ah ! avait-elle été assez naïve ? Mais aussi aurait-elle pu prévoir les terribles événements qui semblaient se succéder depuis quelque temps avec une rapidité effrayante ?… Oui, pour entretenir la conversation, une fois qu’elle se trouvait seule avec Foxham dans une fête au Château, et pour faire une diversion à un sujet de conversation que Foxham remettait sans cesse sur le terrain, celui de l’amour, Louise s’était mise à parler de la maison que son père faisait construire, et elle avait fait une esquisse verbale de la disposition des principales pièces. Voilà comment Foxham, par le souvenir de cette conversation, arrivait à trouver aussi facilement le boudoir de la jeune fille.